Il prit sa place derrière le guichet. La bibliothèque ouvrait à neuf heures. Tout de suite, deux clochards y entrèrent, sous prétexte de lire les magazines, et puis deux hommes vieux, des habitués, un peu clochards aussi, pour les magazines également. Ils resteraient là tous au chaud, dignes et studieux, dans un coin, puants, toute la matinée. Une des bibliothécaires, une fille volumineuse et frisée, vouée dans son habillement à des combinaisons de couleurs étonnantes - ce jour-là, un vert nil, du magenta, un brun taupe - non par recherche, comme il l'avait cru un moment, mais en raison d'une touchante ineptie esthétique (qui l'avait poussée alors à lui faire la cour) avait pris sa place au bureau des informations, au pied de l'escalier en spirale. Les deux autres bibliothécaires travaillaient dans les bureaux, derrière le dos de Jason. Il les entendait deviser gaiement. De leurs enfants, elles parlaient. De ce qu'ils mangeaient au petit déjeûner.
Vers neuf heure et demie, une demi douzaine de personnes étaient passées au guichet pour rendre des livres. Le bras de Jason ne tremblait pas; pourtant, par précaution, par habitude, il posait chaque livre à plat sur le comptoir, devant lui, pour en retirer précautionneusement la carte marquée de dates qu'il glissait sous l'objectif de la lectrice au laser. Une jeune femme essaya de lui faire la conversation. Elle le remercia en souriant. De rien. Il avait du mal à sourire, ses traits suivaient avec une certaine réticence, une certaine paresse, et surtout avec un délai déconcertant, les injonctions de ses émotions. Il s'en était aperçu - il savait que son visage prenait souvent une expression sévère, ou impassible, qui déconcertait les autres animaux expressifs, à commencer par ses proches. Il essayait de n'y pas penser. Il se sentait désemparé lorsqu'il s'apercevait, comme dans le cas de cette jeune femme, que son visage se refusait à fournir l'expression d'amabilité par laquelle il désirait courtiser son attention. Il mettait cela sur le compte de sa fatigue nerveuse, et peut-être de l'âge. Nombre de femmes perdaient cette souplesse d'expression et il avait vu des sourires radieux tourner brutalement, au bout d'une décennie, en des grimaces carnassières; or, leurs propiétaires n'y étaient pour rien, cela, il le savait, elles demeuraient sensiblement les mêmes, pingres ou généreuses, aimables ou vaches, mais exposant soudain, dans des remous de rides, des râteliers effrayants qui prenaient une éternité, et exigeaient une véritable mobilisation de volonté, pour de nouveau disparaître. Il avait commencé de cesser d'être aimable afin de se cacher les échecs de son sourire. Les dames de la bibliothèques, qui l'aimaient bien pourtant, lui trouvaient l'air bourru. Son bras se remit à trembler. La matinée était ensoleillé, d'une lumière comme un matin d'été, mais au dehors les arbres étaient nus. Il n'avait presque rien à faire. Il prit sur les rayonnages quelques livres pour lui-même. Sur l'Arizona et le Brésil. Il désirait prendre des vacances pendant l'hiver. Il n'avait pas beaucoup d'argent, mais il s'arrangerait bien. Il avait été déçu par Cozumel. Il aurait du s'y rendre seul, se dit-il. Il se plongeait avec abandon dans la littérature de voyages: c'était les guides, non les livres de photos qui l'interessaient. Les guides lui donnaient l'illusion de la réalité immédiate, des possibilités, des choix à faire. Il lisait des descriptions d'hôtels et de restaurants. Il se choisissait, dans chaque endroit, un hôtel, un restaurant, un menu. Il aimait connaître les horaires des avions, des trains, des autobus. La veille, il avait épluché tous les guides sur le Pérou, qu'il avait visité une vingtaine d'années plus tôt. Histoire de voir ce qui avait changé. Ces guides étaient devenus une obsession pour lui, quelque chose de malsain sans doute, son cerveau demeurait obnubilé pendant des heures par cette soif de voyages qui était l'un des symptômes communs de la schizophrénie, il le savait bien, mais alors, ce n'était schizophrénie que lorsque vos conditions étaient restreintes, lorsqu'il était relativement riche et libre et qu'il sautait d'un avion à l'autre, d'un continent à l'autre, souvent sans autre motif que son caprice, quand il allait passer le week-end chez des amis en Autriche et que quelqu'un le décidait soudain d'aller faire un tour au casino de Beyrouth, ce n'était pas, alors, de la schizophrénie... Mais après ces heures de séjours, de vols, de night-clubs et d'excursions dans sa tête il rentrait chez lui, abruti de fatigue, migraineux, incapable de penser à autre chose... Alors, il se fâchait contre lui-même: s'il se retrouvait juste un peu à l'aise, alors, au lieu d'être lié par ce travail stupide, ces trois demi-journées par semaine, il pourrait partir, il ne s'esquinterait pas le cerveau dans cette débauche. Ce n'était peut-être qu'une question de temps... Le refus des Japonais n'était pas définitif... Il avait encore des relations qu'il pouvait faire jouer... Tous ses projets comportaient quelques promesses... Il pourrait commencer une petite agence de publicité... Par exemple, pour les pays pauvres qui avaient des problèmes d'"image," ici, et qui désiraient attirer des investisseurs... L'ennui, c'est qu'avec le retour du puritanisme tous ceux qui tenaient des cordons de bourse, n'importe où dans ce pays, étaient effrayés par son passé... Et si l'on voyait son bras trembler...
Le bruit solitaire du téléphone. Il résonna dans le silence studieux. La grosse fille aux couleurs décrocha. C'était pour lui.
- Jason! C'est ta maman!
Il avait entendu l'histoire la veille. Il n'en avait rien dit à Loretta. Il s'abîma dans un gouffre d'indifférence. Il sentait les chairs de son visage s'appesantir comme du plomb fondu, se coller contre ses os. Les yeux fermés, il émettait par intervalle un faible grognement, un gémissement affirmatif. Cinq ou six fois, il murmura: "Je ne sais pas..." Deux fois: "Ce n'est pas ma faute..." A la fin: "Je viendrai te voir..."
Une minute plus tard, un nouveau coup de fil ébranla le silence.
- Jason! C'est pour toi... Une agence immobilière...
Loretta appellerait, inévitablement. Il demanda à sa collègue de bien vouloir prendre sa place pendant un moment, car il ne se sentait pas bien, il éprouvait le besoin de sortir... Si quelqu'un téléphonait encore, dit-il, qu'elle dise qu'il rappellerait. Il était pâle, agité, sa voix détimbrée, si bien que la jeune femme s'empressa de lui demander si elle pouvait faire davantage pour lui... Elle lui posa la main sur le poignet, une main fraîche, aux beaux ongles soignés, et le serra doucement.
- Tu es OK, n'est-ce pas, Jason?
- Pas pour le moment... mais dans quelques minutes... merci, Jalna!
Sous la porte, il heurta lourdement un jeune homme qui entrait. Il n'y parut pas faire attention. Il parlait pour lui-même.
Il descendit rapidement les marches, en fonçant devant lui. Puis il s'arrêta sur le trottoir et lentement enfila sa veste de duvet. Il traversa la rue. Devant la bibliothèque municipale, il y avait un square avec des arbres. Il alla s'asseoir sur un banc, en face du bureau de poste, qui se trouvait entre un magazin de journaux et un restaurant grec. Le froid lui faisait du bien. L'air froid pénétrant ses poumons, et la sensation de se trouver dehors, hors d'atteinte du téléphone, calmèrent si soudainement la tourmente de ses nerfs qu'il se sentit presque paralysé. Il était tendu, son attention était à la fois intense et divorcée du monde qui l'entourait; c'était une rigidité intérieure, comme d'une statue, qui provenait de cette insistante fantaisie de Brésil. Qui combattait sa colère et son sentiment d'impuissance. Et toutes les fureurs accumulées qui crépitaient, explosaient comme de petites charges narquoises à la surface de sa pensée. Il les entendait. Elles faisaient craquer ses méninges, comme une étendue de glace au soleil.
Une fille passa, grande, un peu hussarde, avec un long cou. Elle avait une implantation de cheveux extraordinaire, élizabethaine. Il en avait vu une autre semblable, récemment. Oui, la joueuse de viole de gambe dans ce petit concert Couperin, à Queens College, il n'avait regardé qu'elle, cette implantation de cheveux, pendant tout le concert, et il l'avait oubliée jusqu'à cet instant... Descendant en pointe sur le milieu du front, et encadrant fermement les tempes comme un bonnet. Cette fille-là, qui marchait, non, ce n'était pas elle... Mais l'autre, comment avait-il pu l'oublier dès la sortie, quelque chose avait du se produire, oui, voilà qu'il s'en souvenait, un ticket de parking, qui avait mis Loretta dans tous ses états... Il s'y était donc rendu avec Loretta? Soudain, il se rappela le regard ahuri de Loretta lorsqu'il lui avait parlé de "musique baroque," mais cela, c'était à une autre occasion, non?
Maintenant que cet incident lui était revenu en mémoire, il se souvenait même du nom de la musicienne: Miranda Balestreri. Ce n'était pas une professionnelle. Etudiante en biologie, disait le programme. Une scientifique et une musicienne. Ah, que n'aurait-il pas donné pour la connaître. Et pourtant, il l'avait oubliée... Et pourtant, lorsqu'elle lui était revenue en mémoire, lorsque la passante avait agréablement alerté ses sens, il avait ressenti le même plaisir que si elle avait été une conquête. Une sensation de bonheur l'envahit, qui repoussa momentanément sa mère, Loretta et le Brésil. Le passage de cette femme lui avait caressé l'âme. Cet apaisement de l'esprit, il ne l'aurait pas ressenti si elle n'était pas passée, si elle avait choisi de contourner le square par la rue plutôt que de le traverser. D'où nécessité pour lui de vivre dans un environnement où ces sollicitations passives était nombreuses, abondantes, où elles allaient de soi. Le besoin de France, d'Italie. Cela pouvait être un bout d'architecture, un arbre bien placé. En Amérique, se dit-il, c'était trop accidentel. Accidentel, même, le passage d'une belle fille, ou plutôt, accidentel qu'on se trouvât dans la situation d'en jouir. Ce n'était pas dans les moeurs, tout simplement. Terrasses de cafés de France, d'Italie. Le Brésil? Quelle idée... Encore la pauvreté féroce, la violence, le béton, et au-dessus, triomphante, stratosphérique, l'aboulie odieuse des riches... Il vit distinctement une placette carrée avec quatre platanes, une fontaine au milieu, une terrasse de café, le soleil de midi. Où était-elle? En Provence, certainement. Où? Il restait la maison de Forest Street: c'était peut-être tout ce qui lui restait. Sa mère morte, il hériterait de la seconde moitié, il vendrait. Il y avait des années d'Europe, dans cette maison...
La fille montait les marches du bureau de poste. Longues jambes; sa queue de cheval sautait gaiement, elle avait des cheveux plissés, mousseux, comme l'autre, entourés d'un fin halo, des petites mêches vrillées qui s'éclairaient à contre-jour. Elle portait une veste en agneau retourné, des jeans, un grand foulard à fleurs, beige... Ce type de femme qui pouvait porter du beige... Il fallait, dans le teint, une certaine affinité avec la végétation, la terre, l'écorce des arbres... Les sylphides... Le monde arboréal des châtains... Elle marchait bien, d'un pas énergique, sautillant, rapide, en bougeant des hanches... Il avait trop favorisé, dans sa vie, les brunes exotiques et les blondes nordiques. Il avait négligé toute cette riche zone intermédiaire, à laquelle appartenait aussi Miranda Balestreri. Hélas, il n'aurait sans doute pas le loisir de réparer son erreur. Il se souvint d'une pensée qui lui avait traversé l'esprit, en regardant Miranda Balestreri durant ce concert, et qui lui avait procuré un certain soulagement: même dans le pire des cas, la gêne, la vieillesse, la maladie, l'impuissance combinées, il se trouverait toujours un concert de-ci, de-là, où il pourrait choisir, dans l'orchestre, dans le choeur, parmi les membres du quatuor, une femme sur laquelle il pourrait, sans crainte d'être indiscret, sans risque, concentrer son attention. Il ne s'était jamais vraiment senti à l'aise avec la pop-music, il l'avait aimée tant qu'elle lui avait rapporté de l'argent, en fait, au-delà des possibilités de faire de l'argent, il n'y avait jamais compris grand chose, à la pop-music. Et maintenant qu'il n'en attendait plus rien, il était soulagé qu'elle se fût éloignée de lui, et du champ de ses expériences. Il se voyait, à l'âge de l'oracle delphique, celui de la tempérance et de la connaissance de soi, mentalement à genoux dans le recueillement d'une salle de concert aux pieds d'une Miranda à la longue jupe noire fendue, au chemisier de soie émeraude... Mais non, c'était absurde! Il faudrait, pour cela, vivre dans un monde qui ne serait pas adonné aux titillations les plus violentes possibles du plaisir et de la douleur au point que l'une ne pouvait plus se distinguer de l'autre, et si profondément anesthésié qu'il ne pouvait plus être stimulé que par une irritation de plus en plus exacerbée, de plus en plus confuse, de la douleur-plaisir, de la violence-narcose, ce monde'là, il était en pleine dedans, et il le retrouverait partout... Le sentiment même qu'il éprouvait à la pensée de Miranda Balestreri, l'agréable excitation que lui avait donné le passage de la fille en beige, n'étaient même plus acceptables: les femmes, maintenant, s'insurgeaient contre, les plus jeunes et séduisantes étaient les plus fanatiques, elles se sentaient salies, abusées. Elles n'auraient aucune sympathie pour son attitude... "Dévalorisées," "objectifiées..." Ces émotions-là, ces attitudes de pensée, et leur provocation, n'étaient plus permises qu'aux homosexuels mâles. Le désir vadrouilleur, la drague, la sollicitation; les regards insistants, les frôlements: cris d'horreur si pour des femmes. Si pour des hommes, vous étiez un sinistre imbécile obscurantiste si attitude autre qu'encourageante, bénigne. Comme il l'avait toujours été, d'ailleurs. Les homosexuels portaient maintenant seuls le flambeau fuligineux du désir, ingrat et sublime fardeau. (Du temps de son magazine, il avait reçu une liste de directives éthiques pour journalistes: en parlant d'une femme, de n'importe quelle femme, fût-elle le modèle suprême du moment, les notions de "belle," et de "mince," étaient prohibées comme se reférant à des valeurs préjudiciables et à des stéréotypes.) Le monde était devenu son ennemi... "Baroque" était synonyme de "grossier," et "adulte" un euphémisme pour "pornographique..." On lui avait proposé de se joindre à un projet de chaîne de "librairies adultes..."
Au bout d'une heure, sa collègue décida d'aller voir ce qu'il faisait. Il était toujours assis sur le banc, dans une attitude bizarre, qui l'effraya: son cou était tendu, rigide, formant avec son corps un angle étrange, et son visage parfaitement immobile était tourné vers les branches d'arbres qu'il contemplait, en apparence pétrifié, la bouche entr'ouverte et tordue.
- Jason, dit-elle. Jason!
Il sursauta légèrement en l'entendant, comme s'il se réveillait, comme s'il s'était laissé aller simplement, et il reprit un attitude normale, paraissant surpris de son alarme.
- Qu'est-ce qu'il y a?
- Jason, dit-elle, cela faisait une éternité que vous étiez sorti... Je venais voir... Vous allez bien, Jason?
Il s'excusa, le plus gentîment qu'il put, il tendit la main vers elle pour la rassurer. Il était désolé, dit-il, il n'avait pas vu le temps passer. Il n'avait pas pu rester dehors si longtemps, comment était-ce possible? Une fille blonde venait de sortir du bureau de poste. Elle avait des oreillettes en fourrure de renard argenté qui faisaient comme des yeux de mouche volumineux de part et d'autre de son chignon tiré. Une grande écharpe à franges flottait sur sa veste de cuir noir. Il s'arrêta de parler et la suivit du regard, le geste suspendu, sa main reposant, distraite, sur le bras de sa collègue. Elle suivit son regard. Elle l'examina avec une sorte d'effroi et de colère.
C'était une grande fillette noire. Elle voulait une carte. Etablir quoi? Une nouvelle carte. Il quitta le comptoir pour chercher un formulaire au bureau, il fallait établir une carte provisoire, il ne savait plus comment on faisait. Cartes, cartes. Il chercha. Il lui dit d'écrire son nom sur un bout de papier, il ferait établir une carte magnétisée à son nom qui lui serait envoyée dans les semaines à venir, il lui fallait savoir son nom, son adresse, son numéro de téléphone, il fallait aussi une preuve de résidence. La fillette dit qu'il n'y avait pas de raison qu'elle fournisse une preuve de résidence puisque cette carte devait simplement remplacer l'ancienne, qu'elle avait perdue. Ils devaient bien avoir tous ces renseignements, ils devaient bien avoir les renseignements qu'elle avait donnés pour sa carte précédente. Il fallait une preuve de résidence, dit-il, n'importe quoi avec son nom, une facture de téléphone, d'électricité. Une carte d'étudiant. Elle insista, disant que ce n'était pas nécessaire. Il dit que c'était le règlement. Est-ce que c'était le règlement? Elle disait: regardez dans vos papiers. Elle disait: vous ne voulez pas me remplacer ma carte. Vous ne me faites pas confiance. Il dit que ce n'était pas une question de confiance, mais il s'agissait de connaître son adresse pour établir si elle devait payer des droits, elle se fâcha et dit très haut qu'elle n'avait jamais payé de droits, elle lui avait donné son adresse, c'était suffisant. Il tremblait, tout lui tombait des mains. Un long jet de salive tomba sur le formulaire que la fillette venait de remplir. Celle-ci laissa échapper une exclamation de dégoût: "Yak!" Elle se détourna avec mépris et se dirigea vers le bureau d'informations, sous l'escalier en spirale, où la jeune femme aux multiples couleurs était assise.
- Est-ce que vous pouvez m'établir une carte?
Elle la renvoya auprès de Jason.
- Il n'y est pas, on dirait! dit-elle avec dédain.
Il n'était pas visible.
- Il va revenir dans un instant!
- Il n'y est pas dans sa tête, Madame!
Elles se rendirent toutes les deux au comptoir de Jason, la femme multicolore passa derrière. Il était à quatre pattes dessous, ou plutôt sur trois pattes, car d'une main il se tenait la tête. Elle se précipita vers lui. Il dit qu'il cherchait quelque chose.
- Qu'est-ce que tu cherches, Jason?
Il dit qu'il ne savait pas ce qu'il fallait faire. Il ne faisait aucun effort de se lever. Il était rigide, la tête fixe, comme un chien en arrêt. Elle s'inquiéta fort, la fillette noire s'était dressée sur la pointe des pieds et se penchait sur le comptoir, pour voir.
Il ne s'était rien passé. Dans une journée, jours nombreux, parallèles, ou l'un dans l'autre, s'ignorant. Il y avait eu le matin, parfaitement calme, la lumière du matin sur le palier. Café. Mozart. Léger exercice. Alors, il ne tremblait pas. Il était porté par une lumière sereine. Coup de klaxon de Loretta. Lentement, il avait passé sa parka de duvet, son bonnet de ski, son écharpe et ses gants. Il était sorti par la porte de la cuisine, elle l'avait embrassée, elle avait déposé Lukaki au jardin d'enfants, puis elle l'avait déposé, lui, à la bibliothèque. Tout ce qu'il fallait de vie pour un jour, à neuf heure trente, déjà consommé. Le reste... il fallait traverser le reste. Rêves éveillés de Brésil et d'Arizona. Déjà, tensions, souffrance: Arizona ou Brésil? Projection de rêves ou vie dans l'actuel, le présent? Coup de téléphone de sa mère, l'Enfer relâché. Tout ce qu'il faut d'emmerdes pour une journée. Coup de téléphone de l'agent immobilier. Après cela, il n'était pas onze heures, et la journée était épuisée. Il fallait persister pourtant. La paix du froid, du soleil. Le banc. Le calme de la tourmente, la paix d'eau ridée, le sillage net et brillant de la jeune femme en beige. Ressource des souvenirs. Equilibre. D'autant plus dangereux que trop haut situé. Chute la tête la première, tourné-boulé, devant le regard désapprobateur de la fillette noire. ç'aurait pu être la fin. Non. Déjeûner, caché dans l'arrière-boutique, sirotant un bouillon, déchirant un sandwich, les mains quasi-inutilisables. Refus de quitter le boulot. Encore trois heures. La directrice désemparée, contrariée peut-être par son refus. Se passera de ses services après cela, certainement. Après-midi inerte, pesante comme du plomb liquide. Regard rivé sur l'horloge. Retour à pieds; marcher par les rues, surtout dans le froid, lui rendait toute sa vigueur, neutralisait tous ses conflits. Une tasse de thé vert en rentrant. La cuisine, le living maintenant illuminés d'une lumière chaude, comme par une grande flambée. Télévision. Nouvelles locales. Un match de hockey sur glace. Un flic ensanglanté. Il pressa le bouton du magnétoscope. Une cassette s'y trouvait depuis la veille: danoise, des adolescents nus dans une prairie de boutons d'or, sur la musique de Daphnis et Chloë, le film remontait aux années soixante-dix, soft porn, de loin ce qu'il préférait, c'était l'un des moins mauvais dans le genre... Tous ces gens devaient avoir la trentaine maintenant. Ce n'était donc pas un vieux film. Les vieux films, ceux qui avaient une vraie qualité de nostalgie, vous montraient des jeunesses disparues, le reflet de vies éteintes. Une ligne de danseuses dans un Fred Astaire, ça vous acquérait avec le temps un caractère poignant qui manquait certainement à la sortie. Cette très jolie fillette se caressait les seins depuis une demi-minute, des seins à peine renflés, mais la photographie avait réussi à en capturer la très fine toison enfantine de poils blonds; il essaya de l'imaginer dans son état présent: elle vendait des nappes dans un magasin de Copenhague. Elle avait deux enfants, un mari, de très bonnes amies avec qui elle passait des week-ends sans lui. Elle visitait ses amis homo à l'hôpital deux après-midi par semaine. Elle leur tricotait des chaussons, des liseuses. Elle avait eu un amant palestinien. Elle faisait de la bicyclette pour garder la forme. Avec la possibilité de répétition et de ralenti à plaisir, jamais les temps n'avaient été plus fastes pour jouir d'un film porno. Il fit passer le plan, image par image. L'obscurité descendit sans qu'il n'allumât. L'écran seul l'éclairait.
Loretta se glissa dans la pièce sans bruit. Elle s'assit à l'écart. Elle fit mine pour un temps de s'intéresser au film. Un soupir lui échappa. Jason arrêta l'image. Non, dit-elle, les choses n'allaient toutes comme elles auraient du. Mrs Ransom l'avait appelée. Il y avait une lettre dans le courrier. Elle devait se défaire de Linda ou bien quitter la maison. Il ne répondit rien. Il fixa son regard sur l'image arrêtée, un peu déformée. La main un peu pataute, le sein minuscule.
- Tu m'as donné ton autorisation pour Linda, je ne serais jamais venue vivre ici sans cela.
- Bien sûr! Tout le monde le sait. Tu as tort de t'inquiéter.
- Alors, pourquoi m'écriraient-ils?
Elle lui demanda ce qu'il comptait faire pour l'aider. Il lui dit qu'il n'y avait rien à faire, que c'était une histoire absurde. Il pressa le bouton du contrôle à distance et le film repartit. Musique. Elle dit: "Jason!" et il pressa le bouton "muet" et l'action seule continua de se dérouler. Pas un moment, il ne la regarda.
- C'est ta mère et ton gendre qui ont concocté cela. Qu'ont-ils contre moi?
- Mon gendre est un imbécile, dit-il.
- Mais pourquoi s'en prendre à moi?
Il remit le son, il diminua le volume. Il sentait que la rage revenait, et la tourmente, comme une tentation. Et, à l'opposé, la tentation de l'inertie. Entre les deux, la voie impossible, comme barrée par une avalanche, la voie qui pour lui seul, inexpliquablement, irrémédiablement, était devenue impratiquable. Celle de l'action normale, humaine, celle de la solution différenciée des problèmes.
- Le chien l'a effrayée, dit-il d'une voix neutre.
- J'en suis désolée, Jason, vraiment! lui dit-elle sur un ton suppliant. Mais alors, pourquoi vouloir descendre au sous-sol sans prévenir...
- C'est pourquoi je t'ai dit de ne pas t'inquiéter.
- Et puis, ce canapé, pourquoi n'expliques-tu pas à tous ces gens de quoi il s'agit?
- Elle a des idées bizarres au sujet de ce qui lui appartient... Elle dit qu'elle venait le reprendre pour le donner à une oeuvre charitable, puisque selon toute apparence je m'en servais pas...
Il augmenta le volume. Elle attendit. Il ne répondrait pas. Il accéléra les images, à la recherche d'une portion qu'il aimait bien. Deux fillettes dans un étang. Des nénuphars. Elle se frottait nerveusement les mains et se mordait les lèvres dans l'obscurité. Absorbé par l'image, il percevait pourtant ses mouvements, dans l'obscurité.
A la fin, elle se leva brusquement et il lui répéta d'une même voix morne, le visage impassible, qu'il n'y avait rien à faire, que c'était une histoire absurde... Elle ne devait pas s'inquiéter...
Elle s'accroupit devant la cheminée et disposa des bûches sur les chenêts, un échaffaudage de brindilles en-dessous, alluma des feuilles de papier journal tordues. Au moins, il aurait du feu. Le feu lui faisait du bien. Elle alluma un petit cône d'encens.
Elle ne pouvait lui dire qu'elle avait été blessée, insultée. S'il ne pouvait comprendre de lui-même, à quoi bon tenter de lui expliquer, pour quoi faire, sinon accroître son souci? Il ne défendrait personne au monde, sinon sa mère, contre qui elle n'éprouvait aucun sentiment hostile. Il se remettrait à trembler, à baver. La directrice de la bibliothèque lui avait téléphoné. Il les intimidait par la force de son secret, cette maladie évidente, visible pour tous, et qu'il vous forçait d'ignorer.
- Veux-tu que je déménage? demanda-t-elle. Tu sais que je ne me séparerais jamais de Linda.
Le film redevint muet. Il tourna vers elle son visage pétrifié, que l'écran éclairait d'ombres latérales.
- Je t'ai dit ce que je pense de cette histoire...
- Mais demain, Jason, je recevrai une notification...
- Alors, attendons demain...
- Jason... il faut... il faut que tu sortes de toi-même et que tu expliques à cette femme...
- Une fois pour toutes: que puis-je lui dire qu'elle ne sache déjà?
- Tu ne lui parleras pas?
La musique revint. Loretta s'esquiva. Le feu flambait.
La musique pesait légèrement sur son esprit, comme la douceur d'une main apaisante. La stimulation érotique modérée des images l'éclairait, aiguisait ses sens. Elles n'étaient pas plus kitsch, dans le porno, que ses Véronèse préférés. Il lui semblait flotter, pour la durée de cette musique, dans un contentement invulnérable.
Daniel trouva un message d'elle sur son répondeur. Il n'appela pas tout de suite. Lorsqu'il appela, il n'eut pas de réponse. Le lendemain, une voix enregistrée lui annonça que ce numéro de téléphone était hors de service. Il téléphona à son père qui lui dit, d'une voix indifférente, qu'elle avait déménagé. Il paraissait surpris qu'elle ait laissé un message pour Daniel. Il ne l'avait pas vue depuis deux jours. La veille, une petite entreprise grecque était venue prendre ses meubles dans une camionette. Les hommes lui avaient dit que c'était pour les mettre en entrepôt, tout près, à Astoria. Il ne savait pas où elle était. L'agence venait d'envoyer une équipe de peintres. Ils avaient décidé de remettre l'appartement en location dès le mois prochain. Ils, c'est à dire, lui, sa mère et Rory.
Il prit le train pour Flushing. Il descendit à pied Main Street qui, à deux ou trois pâtés de maisons des quartiers les plus paisibles et anonymes, est l'une de ces extraordinaires artères de Queens et de Brooklyn qui aujourd'hui sont peut-être les plus cosmopolites, les plus multi-culturelles, les plus exotiques de la terre. Barry avait raison: Queens et Brooklyn sont les concentrés du monde. Nul raison d'en sortir. Magasins chinois, coréens, indiens, avec quelques enclaves juives orthodoxes, grecques, égyptiennes, porto-ricaines. Aussi exotique que Chinatown et beaucoup plus varié. La foule à l'avenant, exubérante, mouillée, mêlée. Bien plus mêlée qu'aucune foule de Manhattan. Andreï l'avait emmené à Brighton Beach, le quartier des nouveaux émigrés russes, la promenade en bord de mer bourdonnante de balalaïka, les kiosques qui servaient caviar et pirochkis dans des assiettes de carton, et la vodka illégale à pleins gobelets de plastique. Fini, Greenwich Village: tourisme, yuppies, clinquant, et maintenant la gêne, le toc... Son père une fois de plus en avance d'une mode, fer de lance, avant-garde, c'était son destin.
Avant d'atteindre Forest Street, il passa devant un bâtiment blanc, neuf, simple et bas qu'il n'avait jamais remarqué: oriflammes orange, le temple bouddhiste.
Il n'était pas retourné à Forest Street depuis le retour de Jason. Il trouva l'appartement bien rangé. Du feu dans la cheminée. L'autre moitié de la maison était vide. Les portes et fenêtres étaient grandes ouvertes, pour le nettoyage. On entendait de la musique antillaise. Jason le reçut plus bougon, plus déconnecté que d'habitude, lui sembla-t-il. Il était pieds nus dans ses pantoufles de cuir, enveloppé dans un grand sérapé mexicain. Il portait ses lunettes de lecture. Daniel, comme à chaque fois, et depuis son plus jeune âge, étonné de le trouver si étranger. Que pouvait-ce bien être, la paternité, sinon une proximité physique, une présence prolongée, plus ou moins dominatrice, plus ou moins bienveillante. Un nombre considérable d'hommes lui avaient été infiniment plus proches. Jason n'était pas un prophète de la paternité. Il n'avait aucune prétention en ce domaine. Il semblait partager avec Daniel la notion que c'était un lien ténu en effet. Ils n'étaient jamais en présence l'un de l'autre pendant longtemps sans qu'un même sentiment d'étonnement et de doute ne traversât l'esprit de chacun quant à leur relation.
Jason lui raconta, toujours de cette voix neutre qu'il utilisait maintenant en toutes circonstances, les détails de la piteuse affaire de la visite de Mrs Lovatt.
- Mais c'est incroyable! Vous n'aviez aucun droit de la menacer ainsi, et de lui demander de se séparer de son chien...
- C'est ce que je lui ai dit! C'était une histoire absurde. Mais, apparemment, au lieu de s'en moquer, elle a pris la mouche. Il lui aurait été facile de se défendre. Elle a préféré se sentir insultée...
- Mais c'était une insulte, bon sang! Enfin, c'est abominable...
- Le chien a tout de même attaqué ma mère, ou du moins, il lui a fait peur. On a du la mettre sous sédatifs légers pendant trois jours... C'est quand même sérieux, à son âge... Elle avait tous les droits du monde à descendre au sous-sol. Elle est la propriétaire. Elle a entreposé dans ma cave des choses qui lui appartiennent.
- Mais pourquoi n'a-t-elle pas attendu que tu rentres pour descendre au sous-sol avec toi?
- Comment veux-tu lui parler raison? Elle est sénile... Barry est pratiquement un malade mental... Tu ne me demandes pas de me désolidariser d'avec ma mère et mon fils, tout de même?
- Tu sacrifies ceux qui t'aiment à leurs obsessions imbéciles!
- Ecoute, Loretta est locataire, ils ont des droits, les locataires, ce me semble, elle n'avait qu'à se débrouiller, cela ne me concerne pas!
- Mais c'est révoltant!
- Veux-tu que je me rende responsable de la mort de ma mère?
Daniel emprunta la Porsche et se rendit à l'institut de toilettage de chiens. Jason les avait déjà appelés: les employées ne savaient rien au sujet de Loretta. L'institut se trouvait dans une rue latérale qui donnait sur Main Street. La gérante qui remplaçait Loretta était vietnamienne. Les employées portaient des blouses empesées de couleur vert tendre, sur lesquelles la silhouette d'un scotch terrier était brodé. Aucune ne savait ce qu'il était advenu de Loretta, ni ne paraissait s'y intéresser particulièrement. Elle semblait n'avoir annoncé à personne son intention de partir. Elle avait retiré son fils du jardin d'enfants, dit l'une des femmes. Jason se rendit au jardin d'enfants qu'elles lui indiquèrent. Personne ne savait rien au sujet d'elle et de l'enfant. La directrice, noire fastueuse en habits africains, évalua Daniel d'un regard rapide et circonspect. Elle ignorait tout de la vie de Loretta, dit-elle, sinon qu'elle venait de divorcer. Elle suggéra que son divorce avait peut-être quelque chose à voir avec son départ. Souvent, les gens s'éclipsaient lorsqu'un ex-époux se pointait à l'horizon pour faire valoir ses droits sur les enfants. Des enfants qui disparaissaient de l'école en ces circonstances, cela arrivait tout le temps. Daniel se souvint que Loretta lui avait dit qu'elle avait une soeur, à Queens ou à Brooklyn. Mais il ne savait pas son nom. Dans la rue, en conduisant, il aperçut un garçon maigre, vêtu d'une parka jaune. Cette soeur avait un fils, et le garçon sur le trottoir ressemblait à celui qu'il avait vu avec Loretta le premier jour. Il avait à peine fait attention à l'enfant, ce jour-là, pourtant celui-ci lui paraissait avoir un air familier. Il aurait été invraisemblable qu'il le croisât à cet instant précis, mais il décida néanmoins de s'arrêter à sa hauteur. Il héla le garçon qui s'approcha, méfiant, de la voiture.
- Es-tu le neveu de Loretta?
Il le regarda, l'air vide.
- Connais pas! dit-il.
En rentrant, il visita l'ancien appartement de Loretta. Il y trouva l'équipe de peintres: trois haïtiens. Sur une des marches de l'escalier, ils avaient posé un poste de radio énorme qui hurlait de la musique de meringué. Les entendant parler créole, il les salua en français. Ils le saluèrent gaiement, tous ensembles. Il restait à peine quelques traces du passage de Loretta. Les animaux magnétiques oubliés sur la porte du réfrigérateur. Sur l'un des murs, l'enfant avait crayonné quelque chose avec un feutre vert: une maison, un arbre.
Beaucoup de gens disparaissaient. Ce pays était vaste, l'on s'y perdait facilement. Il offrait des possibilités d'infinies disparitions et recommencements, c'était son mythe, sa nature légendaire. Il suffisait de sauter à bord d'un camion, comme Jack Nicholson à la fin de Five Easy Pieces.
Jason n'avait jamais vu la soeur de Loretta, il ne savait rien d'elle, n'avait aucune idée de son nom ni de son adresse. Il ne savait rien, non plus, de cette famille Theodorakatos qui devait habiter le quartier grec d'Astoria et dont son ex-mari, émigré en Californie, était l'un des membres. Une telle ignorance des circonstances de la vie d'une personne qui avait pendant plusieurs semaines partagé son existence semblait à Daniel singulière, et même vaguement odieuse, mais elle faisait partie du mythe de l'Amérique aussi. Ils appelèrent les trois Theodorakatos de l'annuaire, qui dirent ne pas la connaître. Jason ne connaissait, des amis ou de la famille de Loretta, que Florence, la directrice de la bibliothèque municipale, qui s'était montrée aussi surprise que lui en apprenant son départ.
- Elle est peut-être retournée au Wisconsin, dit Jason. Parfois, il me semble qu'elle appelait sa mère, ou sa tante... C'est un petit endroit, au Wisconsin, je ne me souviens pas du nom... je ne m'y suis jamais intéressé...
- Superior, dit-il, cela s'appelle Superior, Wisconsin, mais alors, nous ne savons pas son nom de jeune fille...
Elle téléphonerait peut-être, dans quelques jours, ou dans quelques semaines, dit-il. Il ne semblait pas trop y compter, ni même le souhaiter.
- Tu vas te retrouver seul, ici!
- J'espère qu'ils ne tarderons pas à trouver un locataire!
- Ce n'est pas ce que je voulais dire... Elle prenait soin de toi, d'une certaine manière...?
- C'était une amitié agréable, dit-il, légèrement. Pour autant qu'elle a duré.
Il semblait éprouver une vague irritation devant l'intérêt que Daniel portait au sort de Loretta. Cette agitation intempestive de son fils l'empêchait de tirer les bénéfices escomptés de sa propre indifférence. Il s'était avili, c'était vrai. Mais il se serait démoli à défendre Loretta contre sa mère. Cela n'aurait été à l'avantage de personne. Il avait abdiqué devant une force supérieure. Sa lâcheté l'avait sauvé sans doute d'une débâcle nerveuse dont il n'aimait guère à considérer la possibilité. Il avait le droit de se protéger. L'acceptation de sa pusillanimité l'avait jeté dans une sorte de torpeur, point désagréable, et il se sentait pacifié depuis le départ de Loretta. Sa présence, opaque de reproche, ou pire de pardon, lui aurait été intolérable. Plus tard, il ressentirait son absence différemment, peut-être. Mais pour le moment, il était plus calme qu'il n'avait été de toute la semaine. Pour cette raison, Daniel ne s'aperçut pas, pendant les heures qu'il passa avec lui ce jour-là, à quel point son état avait empiré depuis deux mois.
Il dit à Daniel:
- Je vais profiter de ce que tu sois ici pour appeler Barry!
- Pourquoi?
- Pour enlever le canapé qui se trouve dans le sous-sol. Il faudra bien s'en débarrasser, pour qu'il ne dérange pas les nouveaux locataires...