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   The Taste of War (version complète, en anglais)   


Voici, traduit en français, le Chapitre 13 du livre d'Alfred de Grazia "The Taste of War," racontant son expérience de soldat et d'officier dans l'Armée Américaine durant la Seconde Guerre Mondiale. Le présent chapître couvre le débarquement en Provence et la remontée le long du Rhône jusqu'à Belfort. Alfred de Grazia, ("Le Lieutenant,") qui raconte son histoire à la troisième personne, a 24 ans au moment des faits; il a quitté l'Université de Chicago où il étudiait les sciences politiques. Il est marié, père d'une petite fille qu'il n'a pas encore vue. Il a quitté l'Amérique pour l'Afrique du Nord en mai 1942. Il a participé à l'invasion de la Sicile, à la bataille de Cassino, au débarquement d'Anzio, à la libération de Rome. En tout, il participera à sept campagnes, et sera absent des Etats-Unis pendant 28 mois. Il est officier des services de propagande, rattaché, depuis l'Afrique du Nord, à la Septième Armée britannique, en qualité d'officier de liaison. Nous sommes en août 1943. Il s'apprête à débarquer à Saint-Tropez...

La traduction est par Ami de Grazia. D'autres chapîtres concernant la guerre en France paraîtront ultérieurement sur ce site.


De la Provence au Rhin pendant la Seconde Guerre Mondiale.



La corvette est anglaise et la cabine, contenant couchettes, barda et tasses de thé, héberge trois officiers. Le Capitaine Foster du "Lancaster Foot" de Sa Majesté, qui a récupéré d'un hiver de dysenterie passé sur les bords du fleuve Rapido, a toujours son air de vieux fox-hound. Le troisième homme est un inconnu, un lieutenant de la Troisième Division d'Infanterie qui en est à son premier voyage vers l'inconnu. Et puis, il y a le lieutenant de Grazia, l'auteur, de l'Armée des Etats-Unis, en bonne forme selon toute apparence, se douchant royalement à l'aide de deux cruches d'eau à parfaite température apportées par un stewart indien. C'est ainsi chez les Britanniques: la nourriture est mauvaise, le service excellent.

La brise de mer rafraîchit la chaleur de mi-août. L'auteur revêt le confortable uniforme de coton qu'il a emporté en violation des ordres. Il a fait provision de cigarettes, quatre cartons de plus que la ration autorisée, qu'il emporte aussi. Une liste de ce qu'il était obligatoire, et de ce qu'il était toléré d'emporter avait été issue depuis les hauteurs du Commandement; tout le reste devait être laissé sur place. Les masques à gas, par exemple: "C'est pas innocent, ça, Foster, qu'en penses-tu?" Quelles que soient les circonstances, il n'aurait pas manqué de renvoyer à la maison, à Chicago, l'épais paquet de lettres qu'il avait reçues. Elles étaient enfermées dans une boîte à cigares qu'il avait achetée en Sardaigne. Il en gardait plusieurs avec lui pour évoquer sa femme jusqu'à l'arrivée des prochains courriers, s'il devait y en avoir. Il se demandait s'il n'aurait pas du emporter aussi la jolie carabine de calibre 12 qu'il avait confisquée, puis laissée à quelqu'un pour une garde improbable. Il soupesa ce qu'il lui lui allait falloir porter à la main et sur son dos lors du débarquement, et cela incluait son fusil d'assaut, en plus de son "calibre 45," plus un pistolet Walther allemand automatique de calibre 38, chacun assorti de pesantes recharges de munitions; il sauta en l'air deux ou trois fois avec le tout et décida d'y ajouter encore quelques sous-vêtements de coton et quelques-unes de ces indestructibles tablettes de chocolat anglais; les sous-vêtements de laine lui grattaient la peau, qu'il avait délicate. Il se dit que si les choses tournaient mal, il pourrait toujours se débarrasser de l'excédent, et que, dans le cas contraire, cet excédent ferait pencher en sa faveur le rapport plaisir-douleur dans la balance de son existence quotidienne.

Une mer calme, labourée d'innombrables sillages par des vaisseaux aux silhouettes les plus variées: il les examina à la jumelle et regretta de ne pouvoir les voir du ciel. Il n'y avait guère d'avions alliés les survolant: on les avait probablement déroutés sur les flancs pour les protéger de notre propre artillerie. Deux ans plus tôt, la situation eût été différente: un quart de la flotte alliée se serait trouvée canardée, oblitérée de la surface des eaux par le feu ennemi. Maintenant, ils pouvaient passer sans incident le détroit de Bonifacio entre la Sardaigne et la Corse, où auparavant ils se seraient fait pilonner des deux côtés.

Ils apprennent qu'ils ont été rejoints par une flotte d'égale grandeur venue d'Afrique. Il ne sait pas où l'on débarquera; il se trouve que ce sera près d'un village du nom de Saint-Tropez. Le lieu est sans grande importance. Du moment qu'il n'est pas trop bien défendu. Ce sera en grande partie une question de chance: sur telle plage, un feu d'enfer vous attendait, alors que telle autre se trouvait avoir été abandonnée par l'ennemi à toute vitesse.

Jour et nuit, le salon est rempli d'officiers, enfumé, maintenu dans le noir. Allongé sur sa couchette, il finit un roman de Tourgueniev. Sur le pont, il écrit une longue lettre à sa femme. Il joue aux échec avec son vieil ami, le Capitaine Foster. Il vient de faire connaissance avec son chef d'équipe, un commandant du nom d'Erik Roos. Roos est un blond ingénieur du génie civil, dans la trentaine, avec une lippe tordue vers le bas qui n'est pas des plus engageantes. Notre Lieutenant, l'auteur, est son officier d'exec; ils seront seulement une demi-douzaine à débarquer avec la première vague, mais une centaines d'hommes et trente véhicules devraient les rejoindre dans les deux semaines à venir - si tout allait bien. Il en viendrait d'autres après.

Pour Roos, c'est la première expérience de combat au plus près. Il n'a ni formation, ni expérience dans les opérations de propagande, ni fait d'études dans les domaines de l'opinion publique ou de la psychologie. Il ne sait rien de l'Allemagne. Il avait travaillé dans le temps au Moyen-Orient; il parle le Danois. On l'avait envoyé d'Afrique pour cette expédition. Mike Bessie, un civil américain qui avait été un éditeur, un petit gars maigre et noireau, de concert avec son homologue britannique, avait choisi Roos dans le vivier du PWB et lui avait donné la charge des opérations de propagande. L'équipe ne s'était pas exercée à Naples; Roos ne parlait presque pas, et se serait à peine trouvé en mesure de communiquer quelque connaissance qu'il aurait pu avoir. Mieux valait donc ne rien lui demander. Ce qui est choquant, ou devrait l'être, c'est le fait qui ni notre Lieutenant, ni le capitaine Foster ne s'en trouvent surpris ou indignés. Etre mal commandé est ordinaire dans l'armée américaine, que ce soit dans l'infanterie ou dans l'intelligence, et l'on pouvait fort bien dire de même de l'armée britannique.

Dans la nuit du 14 août 1944, précédant le débarquement, le salon est bourré d'officiers. Foster et lui sont courbés sur leur petit échiquier, respirant l'air enfumé, furieusement absorbés car ils sont joueurs bien assortis, de force égale, fort médiocres tous les deux. Tout d'un soudain, les canons de la corvette sautent en action et, comme s'ils en avait reçu l'ordre, les officiers débandent du salon. Nos joueurs d'échec lèvent la tête et s'en reviennent plus lentement à la conscience du présent. Ils trouvent la pièce vide. Ils ont raté le moment de paniquer. Quelque essai faiblard de raid aérien ennemi, semble-t-il - encore heureux que personne ne se soit fait faucher par l'artillerie de la flotte en se précipitant sur le pont. Comme il n'y a pas d'autre endroit où aller, les officiers s'en reviennent, l'oreille basse.

Ils se lèvent tous à l'aube; sur fond sonore d'un feu d'artillerie nourri, on leur sert, cérémonieusement, le breakfast. Ils prennent leurs bagages et leurs fusils et se rendent sur le pont. La naissance du jour a saisi toute la côte dans sa lumière, nulle batterie n'y fait feu, les vagues déferlent, calmes, quelle belle vue... Des bouffées de fumée apparaissent de-ci de-là, aux endroits où l'artillerie navale atteint la côte. Le débarquement commence à huit heures, les premières barques d'assault accostent sans opposition immédiate, sans heurter de mines. Le petit groupe attend de recevoir le signal de leur responsable d'embarquement, qui les a consignés sur sa liste. Le soleil est déjà haut lorsqu'ils sautent dans le débarcadère, puis touchent terre. Ils montent depuis la plage, à travers rochers et broussailles, suivant un chemin marqué par les sapeurs, leur allure accélérée par la poussée accrue des hommes qui, ayant débarqué tout le long de la plage, convergent vers ce même chemin. Au bout de deux ou trois kilomètres, la file part en éventail, les soldats rayonnant vers leurs unités et points de rassemblement respectifs.

Comme leur mission n'est pas de prendre du terrain sur l'ennemi, le Lieutenant conduit son groupe à la recherche d'un logement. Pas de civils en vue; ils se tiennent à l'écart des routes, cachés dans les collines derrière la côte. Le groupe tombe sur une villa partiellement détruite. Une rapide inspection ne révèle aucun piège à con: "Rappelle-toi la Sardaigne!" se dit le Lieutenant. Ils prennent possession de la villa. La plupart des meubles sont partis. L'eau et l'électricité sont coupés. Le jardin est à l'abandon. Ils pourraient trouver mieux, mais un colonel pourrait bien apparaître et les faire déguerpir d'un gîte plus luxueux qu'il ne leur sied, ou bien, ils pourraient se retrouver avec une compagnie entière sur le dos. Ils sont à peine installés que leurs deux jeeps et leurs chauffeurs viennent les retrouver. Quelques-uns s'installent à l'intérieur pour dormir, les autres au dehors.

Pas moyen de décider si l'ennemi était toujours dans les parages, il se pouvait qu'il se soit rallié pour attaquer le fer de lance du débarquement plus loin. Le Lieutenant prend l'une des jeeps et part à la recherche d'un officier d'intelligence quelconque, de quelque S2 de bataillon ou d'un détachement spécial, qui aurait des nouvelles des flancs, ou de l'avant. Ils découvrent qu'il y a peu de chose à faire. Les Allemands battent massivement en retraite et ne s'attardent pas dans l'attente de messages les invitant à se rendre ou à déserter. Des unités de reconnaissance sont parties à leur recherche, établissant le contact, les rattrapant dans les coins. Le Lieutenant ramasse quelques souvenirs qu'ils ont laissés, un sac doublé de fourrure qui devait provenir de la campagne de Russie, une cantine de forme plate qu'il trouve supérieure de conception à celles, rondes, utilisée par les siens. Ils étaient parti en hâte, probablement dès que les premiers tirs avaient commencé à venir des bateaux.

Les conquérant mangent des rations K (ration de combat), avec quelques rations C (ration de campagne) ajoutées. Il y a peu de nourriture à prendre sur place. La traversée-surprise du fleuve Delaware à Trenton par le général Washington avait du moins trouvé les tables des Hessois croulant sous un banquet de Noël. Ici, cinq générations plus tard, sa descendance mange fort mal. Des rations de meilleure qualité mettront du temps à trouver la côte et d'ici là, le Lieutenant sera loin. Il accompagne Foster jusqu'à la route qui longe la plage pour lui dire good-bye; l'homme du "Lancaster" s'apprête à faire de l'auto-stop sur un blindé de transport; il part faire son boulot à l'extrémité est du front, près de la frontière italienne. Ils ne se reverront plus.

La première nuit est bruyante: l'artillerie est déjà remontée au-delà de ses positions et l'ennemi à retiré ses pièces. Ce n'est pas son bruit distant mais le passage des véhicules, le va-et-vient des hommes qui troublent le sommeil. Le Commandant Roos réveille le Lieutenant: "J'entends des bruits dans le jardin, allez voir si c'est l'ennemi!" lui ordonne-t-il. Pas la peine de discuter; le Lieutenant enfile ses bottes et va faire un tour dehors, ne trouve personne et pisse à la lumière des étoiles. "Pas de souci à vous faire, Commandant, c'était sans doute un de nos gars, à la recherche d'une piaule..."

Le lendemain, le Lieutenant s'en alla seul dans le but d'établir son petit business de propagande et de faire des observations idoines. Un certain modèle d'activité s'établit. Il s'avère que Roos est du type domestique. Il aime rester seul dans son coin. Le Lieutenant ne se pose guère de questions à ce sujet, pas encore. Il se fait son nid en France et se tient informé de près de l'évolution du front, qui présente un intrigant panorama, on pourrait dire, un kaleidoscope, car il change à chaque secousse du sablier. Il recherche un endroit d'où il peut se plonger dans le travail. Son ordre de mission étant: "Rends-toi utile!"

Pendant la nuit, la situation s'est radicalisée, non par sa faute. Le front a pénétré aussi profondément le territoire français que Naples n'est distant de Salerne, ou Messine de Syracuse. Au commencement, il y avait eu ces quatre à six grands convois convergeant au large de la Corse, l'un venant du talon de la Botte, de Tarente, un autre du sud de Naples (le sien, à lui) et de la région de Salerne (c'est-à-dire, deux, en réalité), et puis quelques uns arrivant d'Afrique du Nord et aussi quelques vaisseaux ainsi qu'une grande armada aérienne venant de Corse. Ils ont accosté en cinq corps principaux: Alpha en deux branches sur la péninsule de Saint-Tropez, la sienne étant la plus proche de la ville; puis, tout le long de la côte, s'échelonnent les autres. Sur le flanc droit d'Alpha se trouve Delta, puis Camel (divisé en trois), et Rosie, près de Cannes. Sur le flanc gauche, Roméo débarque au Cap Nègre. Des troupes aéroportées atterrissent près de lui, à Saint-Tropez, et plus loin à l'interieur du pays, au Muy. La Douzième Force d'Aviation Tactique opère depuis la Corse et la Sardaigne; quelques vols sont effectués depuis Foggia - de très loin, donc. En raison du manque de cibles locales, leurs avions ne sont pas fort en évidence le long des plages Alpha. Des Forces Spéciales Franco-Américaines s'en prennent à quelques positions d'artillerie côtières, pour découvrir qu'il ne s'agît que d'appeaux grossiers. Ceci pour vous donner une idée de la perspicacité des observations aériennes qui précédèrent l'invasion.

Confrontant la Septième Armée (britannique, à laquelle est rattachée le Lieutenant) avec ses diverses divisions et détachements spéciaux américains et français, se trouve la Dix-Neuvième Armée allemande, un conglomérat informe d'éléments étirés entre Toulouse à l'ouest et la frontière italienne à l'est. Les forces alliées qui se rendaient maîtresses du territoire française depuis l'ouest avaient débarqué sur les plages normandes et occupaient de larges secteurs à l'est; elles n'étaient nullement en passe d'occuper la France sur toute sa largeur, car elles poussaient vers le Nord-Est en une géante stratégie d'enveloppement dont le but était de libérer Paris, d'écraser les principales armées allemandes se trouvant en France et d'atteindre le bassin industriel de la Ruhr. Pour le moment, et dans la tête de ses soldats, la Septième Armée américaine livrait sa propre guerre.

Les Allemands savaient qu'elle arrivait. Le 19ème Groupe d'Armée allemand du sud de la France avait son état-major dans la belle cité papale d'Avignon, en amont du Rhône de Marseille. Là, le général Wiese, qui tenait le haut commandement, fut informé le 11 août qu'une armada avait été lancée plus ou moins en sa direction, et qu'elle poserait pied sur la côte italienne autour de Gênes, ou sur la Riviera jusqu'à Toulon. Il accueillit avec gratitude un ordre qui transferait vers lui la 11ème Division Armée en provenance de la région de Toulouse. Ses autres troupes étaient composées de sept divisions d'infanterie, sous-équipées et en sous-effectif pour la plupart; l'une d'elle était contituée pour la plupart de personnel désaffecté de la Luftwaffe. Comme un nombre considérable d'unités avaient été engagées dans la défense de la Côte, elles avaient du abandonner leurs canons, et n'avaient plus qu'un armement léger. Les Allemands avaient beaucoup trop de territoire à couvrir et ils ne pouvaient opposer de forte résistance à un point quelconque; du moins pas au commencement...

En principe, au début, ils ne semblaient pas déterminés à suivre la tactique logique, qui aurait été de sortir du Midi de la France le plus vite possible, avec le moins de pertes possibles, ne prenant que celles nécessaires pour éviter la capitulation. Cette tactique aurait exigé une rapide retraite vers le nord, où ils auraient pu rejoindre leurs camarades en retraite depuis l'ouest, afin d'établir une ligne de résistance en travers de la France, ancrée sur Lyon. Quelques troupes, une division au moins, aurait aisément pu s'échapper vers l'Italie, en refermant les cols de montagne sur son passage. Mais le Führer haïssait les retraites et ne voulut pas autoriser un tête-à-queue immédiat...

L'ensemble du mouvement aurait du être initié à partir du sud-ouest de la France avant même les débarquements alliés. Les Allemands perdirent une semaine ou deux, assez d'un retard pour rendre impossible une retraite et une défense totalement réussies. Lorsque les ordres finalement furent issus, ils étaient des plus raisonnables: la 19ème Armée allemande devait converger de partout vers le Rhône. Puis, elle remonterait le Couloir Rhodanien. En route pour Lyon, elle devait s'arrêter à sept points de résistance, le premier étant une ligne le long de la Durance. L'ordre du 18 août commande la retraite générale, à partir du 21 août, avec une division couvrant le flanc de la Riviera, et une seconde les Préalpes. Le flanc droit (faisant face à la Méditerranée) serait replié pour aider à la défense de Marseille et de Toulon, où l'on espérait recevoir quelque assistance des Forces Françaises de Vichy. La 11ème Division de Panzer protégerait le rassemblement et la retraite.

Mais il allait prendre à la 11ème Panzerdivision toute une semaine pour atteindre et traverser le Rhône. Le Lieutenant pouvait observer sa progression sur les cartes G-2 qu'il étudiait lors de ses visites au Quartier Général Avancé de la Septième Armée. La 11ème Panzerdivision essuyait des attaques aériennes continuelles. De nombreuses réparations furent occasionées par l'usure normale d'un matériel relativement ancien utilisé aussi intensivement. Cela aurait pu leur prendre plus de temps et leur coûter plus cher si notre Douzième d'Aviation Tactique avait réussi à détruire tous les ponts sur leur chemin. Ce ne fut pas faute d'essayer. Un soulèvement en force de la Résistance française aurait pu (du) interposer quelques retards; il ne se produisit pas.

Une variété de messages cordiaux avait été envoyés par la voie des ondes aux combattants de la Résistance française et on les avait encouragés à harrasser les colonnes allemandes. Plusieurs unités française de l'underground se lancèrent dans l'action, en effet. Une grande partie de leur effort s'absorba à subjuguer la police de Vichy, les troupes de Vichy et à poursuivre des vindictes variées contre certains de leurs compatriotes. Cependant, l'on peut se demander si les efforts des "résistants," ou partisans, ou maquisards, n'aboutirent pas" en fin de compte à galvaniser les Allemands et à les convaincre de hâter leur regroupement. C'était là un désavantage qui n'avait été ni prévu, ni discuté, ni même considéré par les analystes de G-2 et G-3, ou par les services de contre-intelligence, les pelotons de l'OSS, et les propagandistes de combat, y compris Notre Héros, qui étaient tous avides d'aider les combattants: le fait est que les Allemands, en tant qu'individus, étaient terrifiés à l'idée de tomber entre les mains de partisans armés, si bien que la récolte importante de déserteurs et de traînards que l'on aurait pu s'attendre à cueillir dans le sillage d'une troupe de soldats démoralisés, trop jeunes ou trop vieux, sous-équipés et mal-nourris, dispersés sur une trop grande surface puis ramassés au hasard et mal contrôlés par la police militaire SS, menacés par une armée américaine en pleine forme, cette récolte ne se fit pas...! Les Allemands préférèrent généralement prendre le risque d'un long retour vers leur Heimat, fût-ce à pied et en se faisant tirer dessus par les avions et l'artillerie ennemie tout au long du chemin. Ce trait saillant de la personnalité allemande, le "rester ensemble coûte-que-coûte," qui atteignait un sommet dans les forces armées, se trouvait renforcé en la circonstance par la peur d'être tué s'ils se rendaient ou s'ils étaient capturés par quiconque d'autre qu'un soldat américain. Même en ce dernier cas, bien sûr, la peur d'être tué subsistait, mais elle était moindre. L'un des principaux obstacles lors des opérations psychologiques contre les Allemands était qu'ils n'aimaient déserter qu'en groupe, mais que, dès qu'ils étaient en groupe, leur moral s'améliorait et ils se trouvaient moins enclins à déserter.

En juillet, obéissant à un appel aux armes venu de Londres, un groupe important de maquisards français avait pris position dans la région du Vercors, au sud de Grenoble, avec l'intention de fortifier une redoute et de la tenir contre les Allemands jusqu'à l'établissement d'un contact avec les troupes alliées. Il n'en fut rien. Un bataillon de parachutistes allemands leur tomba dessus et, avec l'aide des troupes allemandes locales, neutralisa la révolte, massacrant plus de 2000 Français. Au sujet cet incident, le Lieutenant devait écrire à sa femme:



Ils allèrent d'un village à l'autre, les brûlant jusqu'au sol et massacrant les habitants, hommes, femmes et enfants. Ils violèrent et pillèrent avec cette étrange notion qu'ont les Allemands que la brutalité complète et bien ordonnée fait partie d'un gouvernement durable. Les maisons vides, des murs qui pointent comme des doigts décharnés et noirs vers le ciel bleu et les montagnes vertes, des rangées de tombes, voilà tout ce qui reste. Une grand nombre de jeunes hommes se cachaient dans les montagnes au moment du massacre et ils auront quelque chose à dire lorsque la question se posera de savoir ce qu'il faudra faire des Allemands.



La région du Vercors se trouve entre deux des quatre routes les plus importantes qui vont de l'est vers le Rhône et pour lesquelles la 11ème Panzerdivision allemande et la 36ème ID américaine, celle-ci de concert avec la force spéciale Butler, allaient se battre. Si la révolte dans le Vercors avait été retardée d'un mois, les résistants auraient été mieux ravitaillés et renforcés, et auraient encouragé les troupes américaines à fournir des efforts considérables afin the couper la retraite allemande. En août, la population civile de Charol, sur le front de la rivière Roublion, se révolta contre une colonne d'ingénieurs blindés de la 11ème Panzerdivision et lui infligea des pertes sérieuses. Dans ce cas, les insurgés furent encouragés par le fait qu'ils avaient déjà établi des contacts avec les Américains remontant la Route Napoléon.

En plus de leurs opérations indépendantes sporadiques, les partisans fournirent de nombreuses recrues aux deux divisions françaises de ce qui était en train de devenir l'Armée B, sous le commandement du général français de Lattre de Tassigny; cette armée en bourgeon fut d'abord greffée sur la Septième Armée Américaine, dont le quartier général - la Section G-2, se trouvait sous les ordres du colonel Quinn et de son assistant, le Colonel Parry (et à laquelle reportait notre Lieutenant). Les Français, mises à part les unités de commando, débarquèrent après les Américains et se hâtaient en direction de Toulon et de Marseille, les deux grands ports à l'est du delta du Rhône; pratiquement tout le trafic naval allait être dirigé vers ces deux ports le plus vite possible. The troupes françaises étaient des divisions coloniales, marocaines et algériennes, nos bonnes amies depuis l'Italie, avec nombre d'Européens parmi eux et les encadrant.

Le Lieutenant ne tarde pas à comprendre qu'il ne peut exercer qu'un contrôle fort restreint sur la population française. Cela faisait longtemps que les Français attendaient d'être libérés. Les partisans de Vichy et la milice ont fuit; en de rares occasions, ils s'embusquent, ou essaient brièvement de se retrancher et de défendre quelque endroit fortifié avant d'être tués. Tout le reste de la population est nettement plus coopératif. Quelque problèmes et opportunités qu'il se présente pour les services de propagande et de communications, il devront rester l'affaire des Français eux-mêmes. Une exception se présente en la personne de George Rehm, un membre de son équipe qui, frais débarqué, se rend à l'est, sur la Côte d'Azur, pour fonder un journal.

Des conglomérations hétéroclites de patriotes français, de partisans, d'ex-fonctionnaires, de personnalités officielles et militaires et d'officiers français se lancent alors dans d'amères disputes et incessantes récriminations au sujet des décisions publiques et du contrôle des médias de communication. Ils consacrent la moitié de leur temps à s'expliquer l'un à l'autre qui ils sont et pourquoi ils sont, ou devraient être, en charge de telle ou telle installation, de telles ou telles décisions.

Les Américains, depuis le Quartier Général de l'Armée jusqu'aux plus humbles échelons de la hiérarchie, s'intéressent singulièrement peu de savoir qui gouverne cette partie de la France maintenant qu'elle est libérée. Le Lieutenant, par exemple, réalise qu'il aurait d'énormes difficultés à s'emparer des médias de Marseille et de Toulon, comme il l'avait fait en Italie, même s'il avait à sa disposition le personnel nécessaire pour procéder aux arrestations et purges qui s'imposent, pour désigner un nouvelle équipe, programmer la distribution et commencer de publier ou d'émettre. La tâche aurait pu être expressément déléguée au commandement français, avec une représentation américaine pour la surveillance, le conseil et pour suppléer l'aide matérielle. Mais le contrôle de l'information n'avait fait l'objet d'aucun plan ou prévision quelconque.

Le front et les territoires occupés s'agrandissent démesurément. Les troupes françaises s'installent autour des deux grands ports pour un siège de dix jours. Les trois divisions américaines comptent parmi les meilleures, meilleures peut-être qu'aucune de celles qui ont débarqué dans le nord de la france car elles ont déjà été engagées dans une, sinon dans deux opérations de débarquement et avaient acquis une forte expérience en Italie. La Troisième remonte la Vallée du Rhône; la 45ème remonte par le Lubéron et Apt et au-delà; la 36ème prend la Route Napoléon en direction de Grenoble. Un détachement spécial referme la frontière italienne, un autre, formé d'unités de différentes origines, reçoit le nom de Task Force Butler d'après celui de son commandant; elle est envoyée le long de la Route Napoléon, en même temps que la 36ème Division, afin d'intercepter la retraite allemande remontant le Rhône.

Les choses allaient mal pour les Allemands mais le Général Wiese savait exactement quoi faire. Il avait été privé de la division sur laquelle il comptait pour offrir une résistance sur son flanc gauche, sur la Riviera. Il découvrit bientôt que sa seconde division en cette région partait rapidement en charpie, se trouvant bien trop étirée depuis l'Italie, puis en un demi-cercle le long des montagnes côtières et des Basses-Alpes. Et il voyait que la 36ème Division américaine remontait la Vallée du Rhône à un train d'enfer. Il ordonna donc à la 11ème Panzerdivision, qui avait la tâche de maintenir le front au sud contre les Troisème et 45ème Divisions américaines, d'envoyer quatre détachements d'assaut pour boucher les quatre vallées fluviales qui mènent au Rhône et par lesquelles la Task Force Butler devait obligatoirement passer si elle voulait atteindre le Rhône et couper la retraite de la 19ème Armée allemande.

Le principal site à contrôler était Montélimar, où des collines rétrécissaient la Vallée du Rhône à l'est comme à l'ouest et fournissaient des hauteurs stratégiques. Montélimar, qui se trouve sur la rive est du Rhône, était traversée par la principale ligne de chemin de fer nord-sud de la France, ainsi que par la Route nationale 7 qui, du sud et de l'est, rejoignait Lyon. Un autre axe nord-sud important, quoique secondaire, la route 86, suivait le Rhône sur sa rive ouest. Un massif trafic allemand se met donc en marche en direction du nord le long de ces trois routes à la fois et l'aviation américaine besogne ferme à le détruire. Les accotements commencent à faire vilaine figure.

Une semaine seulement après avoir débarqué, le Lieutenant, s'étant déjà pointé à Draguignan et à Gap, s'offre une virée dans la belle ville alpine de Grenoble, dont les immeubles sont indemnes, les habitants en pleine forme, et où les résistants français sont très présents. Combien de kilomètres a-t-il parcourus depuis la mer? 600, peu ou prou, plus quatre cents de détours. Les Américains sont bouleversés par l'accueil que leur réserve la ville: on dirait une petite Rome. Il échange des cigarettes contre du parfum pour envoyer à la maison. Ses gars s'empressent d'organiser une soirée de Libération avec un groupe d'étudiants de l'université.

Hélas, à peine la prometteuse nouvelle lui parvient-elle qu'il apprend que le Commandant Roos le recherche de manière urgente. Le Commandant est enceint d'une mission de la plus haute importance. Une demande d'aide lui est parvenue depuis le QG de Corps: quelle sorte d'aide? Je ne sais pas. Quand? Maintenant, tout de suite. Où? Trouvez le Corps. Où sont-ils? Je n'en sais rien. L'obscurité tombe. Roos serre les lèvres, leur torsion amère a disparu: Ecoutez, dit-il, les ordres sont les ordres et ceci est bel et bien un ordre! Le Lieutenant regarde le type dans les yeux. Il est cinglé. On ne peut pas discuter avec lui. Il n'a jamais été dehors dans le noir.

Cependant, en dépit de la nature peu engageante de cette mission, le Lieutenant est content d'avoir des nouvelles du Corps, et d'apprendre qu'ils pensaient avoir des besoins urgents. Bien entendu, toute décision en telle matière est du ressort de l'équipe de propagande, elle sait mieux que le Corps ce qui peut ou doit être fait ou non. L'ennui, le grand ennui, c'est que personne dans l'Armée, en commençant par le général Patch lui-même, n'en sait assez long sur ce type d'action militaire, et pour cette raison, et sauf au cas où une action quelconque s'avérerait si stupide qu'elle en serait criminelle, toute action projetée doit être couchée en termes de demande, et non en terme d'ordre. Présenter la mission comme un ordre, comme le faisait en ce moment le Commandant Roos, était absurde, mais il n'était pas sensible à cette sorte de ridicule. De plus, pour absurde qu'elle fût, le Lieutenant était pour le moment, en toute modestie, le seul homme dans toute cette armée qui pouvait se charger d'une mission de ce genre; le lieutenant Johnny Anspacher venait d'arriver, mais il était novice par comparaison.

C'est bien le genre de travail qui n'appartient qu'à lui. Il roule dans une obscurité complète sur des routes totalement inconnues, entre des frontières incertaines amies-ennemies (et l'on ne peut guère compter sur les uns ni sur les autres pour vous reconnaître), traînant derrière lui un chargement de messages pour l'ennemi (une cinquantaine d'obus farcis de tracts), dans le but de trouver un Quartier Général de Corps d'Armée qui s'est déplacé au diable vauvert, où on le renseignera sur la nature du problème devant être adressé et où on lui indiquera la localisation d'une division d'artillerie; après quoi il lui faudra se rendre sur les lieux, trouver une batterie d'artillerie montée et prête à tirer, et dans la possibilité physique de viser la cible qu'il s'agit d'atteindre. Il serait de peu d'effet, par exemple, de tirer des tracts de propagande sur la 11ème Panzer, qui était dans toutes les lignes de mire, mais où le moral était élevé, qui était stationnaire et tenait son terrain, et qui était concentrée en petits groupes; il fallait que le canon fût ciblé sur la masse ennemie en retraite.

Donc, il roule dans la nuit, sans phares. A peine s'il se demande de temps en temps si l'ennemi le tuerait s'il le capturait. Il ne se posait pas trop souvent non plus la question de savoir si la pudeur qui retenait certains membres de sa compagnie à Alger et les empêchait de rejoindre le front avait quelque chose à voir avec de sages considérations de cette nature - il les prenait pour de simples jean-foutre. L'on pouvait arguer que sa tâche à lui était strictement militaire, mais la police SS avait ses propres notions de ce qui constitutait le militaire; en Russie, eux (et, faut-il ajouter, la Wehrmacht dans son ensemble) avaient l'ordre, qu'ils exécutaient avec alacrité, de tuer (ou faire mourir de faim) tout personnel militaire, ouvriers membres du parti communiste, ainsi que les habituelles légions de Juifs, gitans, partisans, et autres qui avaient simplement le malheur de ne pas déguerpir assez vite devant eux. Le Lieutenant était suffisamment renseigné sur tout cela mais Dieu sait pour quelle raison, quoiqu'il pensait souvent qu'il pouvait être tué, il n'envisageait jamais qu'il puisse être fait prisonnier. Ce qui était d'autant plus étrange que son travail était précisément centré sur la capture de prisonniers ennemis.

De toute façon, il était assez d'un soldat, ou d'un imbécile, ou assez téméraire, pour s'efforcer d'appliquer l'ordre du corps d'armée. S'il y avait quelqu'un quelque part dans cette obscurité d'assez renseigné pour savoir ce qu'il fallait faire, notre Lieutenant allait faire son possible pour l'aider, au lieu de prendre un tournant dans la nature et de piquer un somme pour la nuit. Il pense sans doute à Old Hank, le conducteur de locomotive dans une chanson populaire, qui bondit de sa machine au moment où elle s'approche du pont effondré en chantant:



Oh, j'ai p't-ête bien manqué à mon devoir

mais c'est que j'ai ma p'tite patate douce

qu' aimerait mieux m'avoir

chez elle que mort...



Souvent, il se rappelle en conduisant de vieilles chansons ou des airs de jazz, mais pas les tubes du moment. Il se dirige vers l'ouest, à travers les montagnes. Il trouve, en effet, un quartier du Corps Avancé. Il apprend aussi l'envergure du problème: la tâche principale de la Septième Armée est de capturer, ou de détruire, ni plus ni moins, la 19ème Armée allemande, c'est à dire, 150.000 hommes, à peu près. Une excellente opportunité, pour commencer, consisterait à électriser l'air d'été au-dessus du poste de Corps de Commande. Ils savaient, aussi bien que l'ennemi, que, avec la 36ème division cavalant loin à l'avant et contrôlant la Route Napoléon, toute la masse des Allemands devait s'engager dans le couloir rhodanien. Les Américains essayaient de faire passer au plus vite de l'infanterie motorisée, des tanks et de l'artillerie par les étroites routes de montagne qui partent, comme les barreaux d'une échelle, de la Route Napoléon (nord-sud) qui était en leur contrôle, jusqu'à des positions depuis lesquelles on pouvait commander par le feu, et capturer par assaut, les autres routes nord-sud qui forment l'autre montant de l'échelle, et tout particulièrement le barreau qui rejoint la belle petite ville de Montélimar, où des collines de part d'autre du Rhône forment un rétrécissement qu'il serait possible d'obstruer. Si les Américains réussissaient à fermer ce passage, 150.000 Allemands seraient neutralisés, victimes potentielles s'ils essayaient de s'échapper, sinon, prisonniers. La Task Force Butler et la 36ème Division besognaient hâtivement, ou avec une lenteur exaspérante, selon votre point de vue, pour refermer les voies d'échappe. Leurs ordres étaient clairs et concis: nul officier supérieur n'aurait pu rêver d'ordre d'un style plus télégraphique.

Le 21 août, lors d'un briefing de la Septième Armée, la Task Force Butler reçoit l'ordre de tourner à l'ouest de la Route Napoleon et de saisir les hauteurs au nord-est de Montélimar; à sa suite, pour la renforcer, le Sixième Corps ordonne l'envoi de tout un régiment d'infanterie de la 36ème Division, ainsi que de la plus grande partie de deux bataillons de canons lourds de 155 millimètres: bloquer le couloir rhodanien est votre première mission!

Cependant, tout n'allait pas pour le mieux. Comme le Lieutenant pourrait vous dire, citant Clausewitz (De la Guerre): les principes sont simples mais les détails sont difficiles. Le Général Lucian Truscott, commandant de corps, ne semble pas avoir une confiance illimitée en sa 36ème Division, ni en la Task Force Butler qui n'est, après tout, qu'un éclat prélevé sur la vieille bûche de la 36ème. Le Général a si peu confiance qu'il donne des ordres au niveau du bataillon! Par exemple, le 22 août, il ordonne au Commandant de la 36ème Division de mettre les bataillons d'artillerie 977 et 141 en position de tirer sur Montélimar et sur les routes au sud. A un certain moment, quelque brillant jeune officier de l'état-major du Général a du se souvenir de l'expérience italienne et lâcher: "Ce qu'il nous faudrait, c'est un grand vol de tracts de reddition répandu sur les routes pour que l'on puisse convaincre davantage de Krauts de déserter. Où trouve-t-on cette merde?"

Quatre heures plus tard, le Lieutenant se pointe, traînant en remorque un chargement de la merde en question. C'est "la merde du divin uranus," la pépite d'or, la signature d'Eisenhower lui-même, sur l'emblême du SHAEF: elle promet un paradis aux Allemands qui désertent - à tout le moins, la sécurité, la nourriture et, le moment venu, le retour à la maison. Les paquets de tracts sont emballés "cadeau" dans de brillants obus à tête explosive munis de fusibles chronométrés, réglés pour exploser à 1000 mètres d'altitude, ou selon ce que l'observateur de tir prévoit comme plan de route pour ces Allemands qui en ce moment même s'en vont d'un pas décidé, sous couvert d'une nuit qu'ils souhaiteraient sans doute durer aussi longtemps que les années d'obscurité qui couvrirent l'exode des Juifs d'Egypte - ces mêmes Juifs dont les descendants sont en passe d'être exterminés par les maitres de ce même cheptel qui s'efforce de remonter dans le noir le long des trois routes de la Vallée du Rhône.

Les quelques rondes d'obus qu'il transportait était bien insuffisantes pour une tâche de l'envergure envisagée: il aurait fallu que chaque batterie d'artillerie de la Septième Armée, où qu'elle se trouve, en disposât d'une centaine - une vingtaine à disposition immédiate, le reste en magasin. Ce manque de matériel de propagande n'est pas, de loin, à ce stade des opérations, le déficit le plus important - qui est de camions et de chauffeurs. S'étant attendus à de féroces combats lors du débarquement sur les plages, les logisticiens alliés avaient prévu une masse de munitions, aux dépens des véhicules pour les transporter. Dans une de ses lettres à Jill, il écrit:

"Nous allons trop vite pour tout, même pour le corps humain. Le groupe qui est vraiment en train de gagner cette campagne, ce sont les camionneurs, blancs et de couleur. On les fait travailler au-delà de tout critère raisonnable d'endurance..."

Il précise que l'essence et les rations sont au plus court, mais qu'étrangement le surplus même de munitions sur les plages se traduisait par un manque sur le front, faute de camions pour les y transporter. En un endroit, la batterie de la 36ème Division doit cesser de tirer sur les Allemands en retraite et se trouve hors d'action dans la contre-attaque par manque de munitions. Peut-être, après les campagnes d'Italie, où les munitions semblaient être à disposition infinie, les Américains ont-ils pris l'habitude de tirer hâtivement et en gaspillant.

Si tout avait été proprement prévu, les Allemands en retraite, y compris les éléments qui assurèrent la contre-attaque pour protéger leur repli, aurait du être gratifiés de milliers de tracts de différentes sortes tout au long du chemin, lâchés par des avions et tirés par des canons; ils devraient régulièrement entendre des haut-parleurs les exhortant à se rendre. Ces capacités pourraient être à disposition si le commandement de la propagande avait été parfaitement expérimenté et avait planifié sérieusement les opérations, au lieu de s'engager dans des querelles et de chercher la petite bête à Alger et à Naples. Et puis, il faut dire aussi que les officiers d'unités et leurs généraux, avides de montrer qu'ils sont des hommes, pensent habituellement en termes d'explosifs qui blessent et tuent. Et aussi, comme beaucoup d'hommes d'infantrie préféreraient secrètement ne pas tirer sur leurs homologues de l'autre côté, et si l'on considère le nombre limité d'assignations auxquelles un commandant de combat peut les employer - afin d'assister le petit groupe des "killers" pour de vrai - un détachement d'un ou plusieurs hommes aurait pu être désigné dans chaque compagnie pour se spécialiser dans la capture des prisonniers: leur entrainement aurait pu s'effectuer en réserve, ou sur le terrain.

Le Lieutenant sait mieux que quiconque ce qui persuade un ennemi de déserter. Le soldat prêt à la défection en face du feu ennemi, ou pour raison de blessure ou de démoralisation, confronte une décision terrifiante. Il est menacé d'exéxution immédiate par son supérieur, ou après arrestation et procès par ses propres commandants; par ailleurs, il court de gros risques de se faire tirer dessus au moment même où il se rend, soit par accident, parce que l'ennemi tire à vue d'oeil sans comprendre son intention de défection, ou parce que cet ennemi préfère le meurtre à la capture, surtout en présence d'une cible facile ou en raison d'un agenda débordant. D'une certaine manière, déserter ou se rendre est comme mourir, ou, mieux, comme se suicider. C'est dire que, autant que de le convaincre de tenter l'expérience, il faut apprendre à l'ennemi comment déserter à moindre risque, et apprendre aux troupes à recueillir un déserteur ennemi. Aussi, les tracts qu'il transporte comportent-ils non seulement l'assurance solennelle d'un traitement décent, sous la signature de la plus haute autorité alliée qui soit, et portent-ils le sigle de cette autorité, mais aussi décrivent-ils au verso la technique de la désertion, y compris l'utilisation du drapeau blanc, et le minimum de paroles nécessaires, ainsi que des gestes significatifs, comme celui de retirer le casque, etc. Une partie non négligeable de son boulot consiste à enseigner à ses camarades, de la manière la plus détachée possible, comment prendre les prisonniers: sûrement, les vétérans savent comment faire, mais les nouveaux-venus, qui forment d'habitude un tiers de l'armée au combat, sont généralement nerveux lors de cette procédure.

Il y a toujours des doutes particuliers qui s'attachent à une mission, s'ajoutant aux doutes normaux qui envahissent votre esprit si l'on fait un travail spécial et innovateur. Ce qui le pousse à parcourir ces étranges montagnes et ces routes obscures, c'est le fait qu'il est convaincu, pas tellement du fait qu'il peut sauver des vies ennemies (car il y a pas mal d'opposition chez les siens à sauver les vies ennemies) mais du fait qu'il est en mesure de retirer un certain nombre d'ennemis de l'action, de les mettre hors d'état de nuire, et même s'il ne se débarrasse que d'un seul soldat ennemi - ne parlons pas de centaines - il pourrait justifier son boulot au sein de cette guerre immense en terme de ce que l'on appellera beaucoup plus tard "l'analyse des coûts et bénéfices," ou "plus de boum pour votre dollar." Il est un parmi un million d'Américains, de Britanniques et d'autres qui ont réussi à débarquer sur les côtes de France et d'Italie, et jusqu'à ce moment précis, ils sont parvenu à neutraliser 400,000 ennemis en l'espace d'un an depuis l'invasion de la Sicile et la défaîte de L'Italie; cela représente une moyenne de 0.4 ennemi par soldat allié. En fait, avec la Luftwaffe presque hors de combat, les troupes Alliées en France qui sont sujettes à des risques de combat plus ou moins élevés, dénombrent 300,000 personnel de division à peu près et 50,000 membres d'équipages d'avions. C'est-à-dire, une moyenne d'efficacité de combat de un-à-un serait plus proche de la vérité. Quel que soit ce rapport, il était persuadée que, en ce qui le concernait, il était déjà largement exédentaire.

Il était difficile, bien sûr, de mesurer qui avait neutralisé qui, et combien: peu d'hommes savaient qui ils avaient tué, ou s'ils avaient tué quelqu'un. Lui même était-il un agent de la tuerie ou de la non-tuerie lorsque l'infanterie de son propre côté tuait les soldats ennemis que sa propagande avait persuadés de déserter, ou lorsque ses tracts étaient utilisés pour séduire les Allemands hors de leurs trous afin de les saluer d'une volée de shrapnel? Ceci se produisait parfois, en dépit du fait qu'il s'insurgeait contre ce genre de tactiques, qui d'ailleurs étaient interdites; mais il se produisait des incidents, en dépit du fait que les conventions de Genève mettaient les armées au combat dans l'obligation de prendre des prisonniers et de les traiter décemment, et en dépit du fait que l'intérêt bien compris devait renforcer la magnanimité: car l'ennemi cesserait bientôt d'ajouter une foi quelconque à la propagande américaine, niant tout ce qu'elle avançait sur quelque sujet que ce soit, même ceux qui n'avaient rien à voir avec la désertion; et de plus, l'ennemi, privé de confiance, serait convaincu de se battre jusqu'à une fin atroce, avec des résultats dévastateurs pour vous autant que pour lui-même.

Il roule dans la nuit, jusqu'à ce que deux minuscules fentes de lumières devant lui le guident le long de la Route Napoleon, jusqu'à Die. Les centaines de véhicules, camions et canons qui s'y déplacent malmènent le revêtement de l'étroite route. Il prend à droite lorsqu'il atteint Die, et la route devient de moins en moins fréquentée à mesure qu'il s'approche de Montélimar. Il interroge quelques faces obscures qui lui apprennent qu'il n'est pas arrivé. A la fin, il tombe sur un poste éloigné, occupé par un commandant et un fusil mitrailleur de calibre 50. Ils échangent des saluts.

Le commandant attend, bien éveillé, impatient, la lumière de l'aube. Alors il pourra continuer sa petite boucherie. Il a les yeux sur une portion de route. Il sait que des centaines d'Allemands sont, en ce moment précis, sur le point de s'y engager. Au point du jour, il reprendra l'action qu'il avait interrompue à la tombée de la nuit. Il aperçoit une colonne d'Allemands défiler à sa portée et il ouvre le feu, tuant et blessant un certain nombre. La forêt le protège; il déplace alors son arme, avant qu'un canon monté sur panzer puisse tenter de faire un carton sur lui, ou qu'un détachement ennemi ne puisse rejoindre ses hommes, qui le couvrent. Le fait est qu'il accomplit le travail d'un mitrailleur et le Lieutenant en est légèrement surpris. Soit, il était en présence d'un tueur par tempérament, dédié à sa tâche, ou bien, il fallait que le commandant fasse le boulot lui-même pour qu'il soit fait. Les officiers de l'armée américaine font souvent le boulot de leurs hommes, non seulement à cause de la tradition d'égalité et parce qu'ils sont mieux entrainés, mais aussi parce qu'en situation de danger, leur moral est généralement meilleur que celui de leurs hommes. Dans quelque compagnie, escadre, régiment, division ou armée que ce soit, le travail effectif est accompli par un petit nombre. Il importe peu qu'il s'agisse de tuerie ou de paperasserie. Mais n'en est-il pas de même partout, dans tous les groupes?

Le Lieutenant éprouve de la compassion pour ces Allemands épuisés, allant leur petit bonhomme de chemin sous le matraquage de plomb de cet excité joyeux, comme des cochons descendant le couloir d'un abattoir. Mais c'est bien ainsi qu'arrivent les massacres et les mutilations: des soldats sont pris dans un barrage et sont tués ou blessés. Ils tombent dans un piège et sont exterminés sans pitié. Leur bateau sombre et ils sont noyés. La plus grande partie de la stupide glorification guerrière est basée sur l'idée, obscène de platitude et de fausseté, d'un affrontement chevaleresque entre des hommes armés de même, dont l'issue serait décidée par le courage et l'habileté. A quel point cela est faux, il le sait depuis longtemps; c'est la fallacie du "cul de Fred Faas." Fred ne pouvait toujours pas s'asseoir sans grimacer. Cela dit, il aurait été tout aussi objectionable moralement de tuer sous des conditions de tournoi idéalisé que dans les situations sordides et traitresses des batailles réelles.

Est-il, lui, moral ou immoral? Il aime pourtant se considérer comme un guerrier, et donc admet la nécessité et l'utilité de la bataille en de telles circonstances. Et puis, dans des conditions identiques, il sait qu'il ferait de même que le commandant. Même, il se demande s'il ne devrait pas rester un peu pour prendre part au canardage. Mais le temps passe, il n'y a pas de deuxième mitrailleuse lourde à disposition, et le commandant ne semble nullement enclin à faire partager son plaisir. Le commandant, dont le visage est encore obscurci par la nuit finissante, laisse tomber une information laconique sur l'endroit où se trouve la pièce d'artillerie la plus proche, en pointant du doigt dans une direction d'où il avait déjà vu venir le feu. Le Lieutenant fait un détour et finit par la trouver.

Les artilleurs sont généralement accueillants à l'égard de tout contact humain et ils acceptent de tirer des obus de tracts à l'aube. Ils sont d'accord pour passer un nombre d'obus au autres howitzers dans les parages. On les avait fait venir de Cassino pour l'opération de Provence; ils ont l'expérience des opérations de propagande. D'une certaine manière, ils aiment cette notion de s'adresser aux Allemands, de leur parler, pour ainsi dire. Il conduit sa jeep en cahotant jusqu'au canon et ils déchargent les obus.

Puis le Lieutenant repart dans le crépuscule humide, avec une petite émotion de nostalgie, une peine de séparation et même de deuil, en laissant derrière lui l'équipe en charge de sa pièce, isolée dans la forêt sombre, minuscule cellule au sein du grand monde de la guerre, avec dans ses oreilles l'écho de leurs petites voix affairées perdues dans le noir. Ce sentiment proche de la camaraderie, répété un nombre incalculable de fois, ce sentiment aussi est cause que les guerres reviennent sans cesse. Il couvre le guerroiement absurde d'un pansement d'amour fraternel. Absurde, oui; vrai, oui. J'aurais du rester avec eux pour l'action, se dit-il en rampant précautionneusement sur la route. Mais ils ont un observateur à l'avant qui devrait être en mesure de leur dire si le feu a fait son effet. Il valait mieux rouler durant le jour, aussi. Ou bien?

Qu'arrive-t-il en fin de compte? Durant les huit jours que dure la bataille de Montélimar, les canons des unités de la Septième Armée de l'est, sans compter la Troisième Division et la 45ème qui arrivèrent en faisant feu depuis le sud, tirent 7000 rondes par jour sur les Allemands le long des routes de la Vallée du Rhône et sur les unités de la 11ème Panzerdivision qui les défend. Les 35 rondes de tracts qu'il contribua à la bataille de Montélimar représentaient 1/1500 des 54.000 rondes tirées par les canons de 36ème Division et la Task Force Butler, et il représentait 1/60.000 de la force d'homme engagée (en tenant compte de l'aviation) ou 1/30.000 des troupes américaines de combat. Au feu d'artillerie, il fallait ajouter le tir des armes légères, les mitrailleuses, les mortiers, les fusils automatiques, les fusils et les armes de poing (pratiquement négligeables, celles-là), mais surtout, les bombardements et le feu de la Douzième d' Aviation Tactique, qui crépita sans relâche de ses mitrailleuses tout en laissant tomber 851 tonnes de bombes sur les installations de communication et 953 sur les troupes.

Malgré tout cela, trois ponts sur le Rhône furent partiellement maintenus jusqu'à ce que le dernier Allemand se fût échappé vers le nord. Parfois, c'était les débris plutôt que l'artillerie et le feu des armes légères qui bloquaient la route des Allemands en retraite. Ainsi que celle des Américains de la Troisième Division qui étaient à leurs trousses! Car les Allemands s'empressaient de faire sauter sur les routes tout ce qui ne pouvait plus les conduire plus loin. Voyant approcher les Américains au sud de Montélimar, le 29 août, l'arrière-guarde allemande leur barra la route par un assemblage en triple file des carcasses de 500 camions et véhicules, et de ferraille de toute sorte à profusion.

La 11ème Panzer fit du bon travail! En dépit d'une crue soudaine qui rendit la Drôme pratiquement impassable pendant une journée, et malgré les attaques répétées mais sans enthousiasme de forces américaines beaucoup plus nombreuses depuis les flancs de collines à l'est, ils purent s'échapper sans perdre une seule unité, et de plus, avant de retirer leurs derniers éléments, ils avaient réussi à protéger la retraite de la quasi totalité de l'assemblage hétéroclite qui formait leur 19ème Armée, peut-être autant que les deux tiers du total, le tiers restant étant tombé aux mains des Américains et des Français.

Il y aura quelques amères récriminations de la part de certains commandants de l'infanterie allemande dont les troupes avaient marché 700 kilomètres depuis les défenses côtières jusqu'à la nouvelle ligne établie le long du nord de la France. Ils avaient le sentiment d'avoir été abandonné par la 11ème Panzerdivision. Mais à tout prendre, les Allemands pouvaient se targuer d'une retraite victorieuse.

Et les Américains auraient pu se demander, une fois de plus, pourquoi ils ne poursuivirent pas l'ennemi en force, pourquoi ils se retirèrent des hauteurs dont ils s'étaient tout d'abord emparés en différents endroits de la Vallée du Rhône, pourquoi ils avaient laissé tout le boulot à l'aviation et à l'artillerie tandis que l'infanterie paressait sur la périphérie comme un vieux lion attendant une proie facile.

Il s'en retourne à Grenoble. La petite réunion des étudiants et de son équipe avait été une réussite, rapporte Anspacher; Roos n'y était pas. Tant pis. Il prend un peu de sommeil. Il est réveillé par le capitaine Galitzine (Prince Yurka Galitzine, si le Czarisme n'avait péri) de l'Intelligence Britannique, qui vient de rejoindre l'équipe. Il sont amis depuis l'Italie - le Lieutenant étant l'Américain favori de la Section D de sa Majesté. Yurka de dire: "Je reviens tout juste du procès de quelque miliciens de Vichy, pas grand chose en fait de procès, je dois dire. Ce sont vraiment juste des gosses. Les maquisars les tiennent. Ils vont les exécuter. Ce matin même!" Galitzine est bouleversé, presque comme s'il s'agissait de la famille du Czar. "Hé bien, dit le Lieutenant, le moins qu'on puisse faire est d'aller jeter un coup d'oeil!"

Le spectacle est pur Hollywood. Mais beaucoup trop réel! Cela se passe sur une grande place dotée d'un mur aveugle assez grand pour recevoir même la plus errante des balles du peloton d'exécution. Une grande foule patriotique s'est assemblée, bourdonnante d'excitation. Les camions arrivent, apportant les condamnés. On les met contre le mur. Ils sont en effet très jeunes; ces adolescents avaient-ils pu savoir de ce qu'ils faisaient, savaient-ils même ce qu'ils représentaient? Les exécutait-on parce qu'ils appartenaient à la milice qui, en tant qu'organisation, avait commis tant de crimes, ou parce qu'ils s'étaient rendu individuellement coupables de crimes? En ce dernier cas, il aurait fallu des procès individuels et des sentences variées. Mais il semble bien qu'ils ne représentent que la milice et les actions et principes du gouvernement Pétain, et qu'ils vont mourir rien que pour cela. Quelques uns sourient, d'autres font brave figure, l'un d'eux pleure.

Un soldat américain, un Indien, parfaitement ivre, est tellement impressionné par l'épaisse foule qu'il s'imagine être en charge de la contenir durant le spectacle. Il titube de-ci, de-là, hurlant des ordres auxquels la foule obéit de bonne humeur, car il ne se soucie guère qu'ils soient exécutés. Au Lieutenant, quand finalement il le distingue, et ignorant tout à fait l'unifome beaucoup plus resplendissant du Capitaine Galitzine, il adresse un salut raide et, avec une expression gravement soucieuse, lui annonce: "Lieutenant, Sir, il faut que vous soyez très prudent ici, à cette heure, mais ne vous en faites pas, je les ai bien en mains!"

Les tirs éclatent, les gosses s'affaissent tristement au sol. L'officier français en charge donne à quelques-uns le coup de grâce avec son pistolet. La foule se disperse. Le Lieutenant laisse Yurka, se promène de mauvaise humeur dans la ville, à la recherche d'un flacon de Chanel no5 pour Jill, en échange d'un carton de cigarettes qu'il avait apporté d'Afrique.

Les troupes avancent vers le nord et le nord-est, tournant le dos à la Provence. Des tentacules s'avancent vers l'ouest pour contacter les Americains de la Troisième Armée du Général Patton. Le Lieutenant retourne au sud pour vérifier la situation à Toulon et Marseille. Les villes sont toujours sous le siège, mais largement pénétrées. Les divisions françaises convergent sur elles de plusieurs directions. Elles ne pourront pas tenir plus longtemps. La résistance est sporadique. A Jill, il écrit, parlant d'un officier d'intelligence français qu'il emmena avec lui, à une autre occasion:



Le Lieutenant Samarselli n'a pas dormi de la nuit. C'était sa première nuit de retour en France et il était trop excité pour dormir. Les Français sont comme cela maintenant, pas trop excités pour se battre, mais presque. L'autre jour, je me trouvai avec une batterie française montée près de Toulon. Nous venions de capturer le terrain sur lequel ils s'emplacèrent aussitôt et nous eûmes une célébration de grand style en plein milieu de la bataille. Il y avait plusieurs fermes alentours et les familles et les soldats mangeaient en grandes tablées successives au dehors, sous les arbres. On buvait le vin aussi vite qu'il arrivait sur la table et il y avait un étalage de rations, entourant des plats de tomates fraîches et de pommes frites. D'une main ils faisaient la guerre, et de l'autre, ils célébraient la libération de la France. Les canons étaient montés à dix mètres à peine et partaient à tout moment au-dessus des têtes des célébrants. Le capitaine de batterie venait de temps en temps prendre un verre de vin et une poignée de frites et puis courait à son CP à quelques mètres pour donner l'ordre de tirer. Cela continua pendant des heures, longtemps après que la nuit fût tombée. Les canons continuaient de pilonner les Allemands abasourdis qui contrattaquaient sans succès, des dîneurs repus se levaient et d'autres prenaient la relève. Les Sénégalais en sueur faisaient faire des tête-à-queue à leurs camions et amenaient les munitions, avec de grands rires et en dansant presque, dans leur excitation et leur enthousiasme, pendant qu'ils travaillaient. Un incendie de forêt sur une colline proche illumina le ciel qui s'obscurcissait et le tir des howitzers éclatait, illuminant davantage à chaque fois. Les vignes étaient blanches de poussière, les grappes de raisin écrasées par les grosses roues et les pas précipités. Mais personne ne s'en souçiait - c'était des pieds français et des roues françaises. Les Français se libéraient eux-mêmes!



Puis, il s'en retourne en direction de Marseille, où il pénètre par une des artères principales. A mi-chemin, il remarque des engagements plus loin. Des tirs d'escarmouches. Il se gare derrière un mur et s'aventure dans la rue. Des snipers - il y a des types qui ne se rendent jamais, surtout s'ils sont convaincus, non sans raison, qu'on les tuera. C'est comme de mourir en duel: on tue, avec une chance de s'en tirer. Plus du tout la guerre idéale. Le Lieutenant tombe sur une librairie. Ouverte. Il entre et se met à feuilleter. Il découvre un livre dont il n'a jamais entendu parler, de surcroît traitant de son propre domaine: La Théorie des Opinions Publiques, par un auteur qui lui est parfaitement inconnu, un certain Jean Stoetzel. Le livre avait été publié à Paris juste un an auparavant, il fait un large usage de sources américaines, à croire presque que le monde universitaire n'est pas divisé par le chasme de la guerre. Les données et les chiffres sont présentés au sein d'un système théorique compétent, et le Lieutenant juge le travail supérieur à tout ce qui se faisait en Amérique en ce domaine. Il achète le livre avec des francs alliés, que le libraire accepte avec plaisir.

Le tir s'est arrêté. Au volant de sa jeep, il méandre parmi les débris du Vieux-Port. La plupart des endroits qui ne sont pas détruits sont ouverts pour affaires. Un coiffeur, quel luxe! Il se fait faire une coupe, avec shampooing et rasage. "Vous ne payez pas," lui dit le propriétaire. "Vous êtes le premier client américain." Il se promène le long de la jetée. Tout est calme, la mer est calme et d'un bleu profond. Une jolie fille aux cheveux de flamme, avec des taches de rousseur, en robe blanche étroite et bien remplie, se promène aussi, et répond en souriant à ses saluts. Elle est infirmière et vient de Corse. Il s'entretient avec elle pendant un moment, tout en regardant à travers ses jumelles la Vieille-Ville à demi démolie. Il sent qu'il est temps de prendre le large, il note son nom, au cas où il reviendrait, et puis il repart dans sa jeep en direction du nord: non, il ne la reverra pas.

Le Lieutenant américain est impatient de voir arriver les presses mobiles et les haut-parleurs de l'unité de propagande de combat. Il peut à tout moment se présenter une occasion de rattraper un groupe d'Allemands quelconque et de les persuader, sinon de déserter, à tout le moins d'offrir une moindre résistance et de presser le pas en direction de leur Heimat. Il ne verra pas apparaître la joviale face de l'Irlandais New Yorkais Tom Crowell derrière le pare-brise de son camion avant le 9 septembre, date à laquelle le col de bouteille de Montélimar s'est vidé de ses Allemands. Il arrive tôt, mais tout de même trop tard.

L'Armée Française s'habille américain, s'équippe américain et a acquis quelques habitudes américaines, qui souvent ne sont que la renaissance d'habitudes que l'armée américaine à empruntées aux Français entre 1776 et 1918. Jusqu'à présent l'Armée Français était en majorité musulmanes dans les rangs, mais l'on commence à recruter nombres de continentaux, spécialement des membres des forces de la Résistance. Leur encadrement est de tout premier ordre, jusqu'au niveau des sous-officiers inclus, et leur moral est excellent, ce qui est particulièrement évident - et remarquable - dans les opérations d'attaque, là où la plupart des troupes tendent naturellement à traîner la patte. Ils vont incorporer toutes sortes de gens et leurs rangs s'étoffent vite.

Le QG de la Septième Armée fait détacher par le Haut Commandement Français un petit groupe d'hommes, encadré de deux officiers, pour joindre l'équipe de propagande de combat américaine. Ils seront placés sous les ordres de l'officier d'exec., notre auteur. Les deux officiers sont Jacques Prègre et Jacques Villanave. Les soldats travaillent sous le caporal François Bernard, qui est accouru de Paris et qui les commande bien. Ils reçoivent leur équipement et fournitures de la compagnie américaine et agissent sous ses ordres, mais on les laisse faire leur travail comme ils l'entendent. Principalement, ils parcourent la contrée pour assembler des renseignements politiques, utilisant un camion haut-parleur pour informer et contrôler la population. Leur connection de liaison est la G-2 de la Armée Française B, et particulièrement André Malraux, qui a récemment rejoint les rangs, après une brêve expérience dans la Résistance.

Un mois plus tard, un matin, le Lieutenant est en train de prendre son petit-déjepuner sur le petit bureau de capmpagne qu'il transporte partout avec lui lorsqu'il entend un coup de feu, suivi du bruit de chute d'un corps. Il bondit hors de la pièce dans le couloir et tombe sur le Caporal Bernard étendu, le sang coulant en abondance de son cou. "Qui a fait ça?" hurle-t-il. "Arrêtez le fils de pute!" Il s'était aussitôt imaginé une bagarre et un coup de feu. Le Sergent-Chef Annunziata se met à courir derrière lui, murmurant avec dégoût: "Pour l'amour du Christ, calmez-vous!" Le Lieutenant soulève Bernard, enfonçe dans la blessure un pansement que quelqu'un lui tend; il ordonne qu'on apporte une civière et un petit camion, et il s'étouffe avec les remontées de son petit déjeuner de bacon frit et d'oeufs en poudre qui font encore plus de dégats que d'habitude dans son estomac. Arrivent les autres, le soldat Cook en premier, avec une expression ahurie sur son visage habituellement imbécile. C'était un accident. Cook déchargeait son 45 automatique après son tour de garde et accidentellement avait actionné la gâchette, tirant une balle qui avait traversé une cloison, puis le caporal, et s'était logée dans la cloison opposée, juste au-dessus de l'endroit où notre auteur prenait son petit déjeuner.

On emporte à toute vitesse le caporal en direction de l'hôpital de campagne, mais sa colonne vertébrale et son cerveau sont atteints et après quelques minutes, il expire. Les soldats se rassemblent à quelques pas, épaule contre épaule. Le Lieutenant se souvient qu'il est catholique, se souvient vaguement comment faire un signe de croix et murmure une prière improvisée; il faut qu'à tout le moins des paroles appropriées l'accompagnent, se dit-il, et il est du devoir d'un officier d'administrer une semblance de rites suprêmes. Les Américains sont humiliés de ce que ce soit l'un des leurs qui soit responsable de l'accident, plutôt que l'un des Français moins expérimentés.

Quelques jours plus tard, Johnny Anspacher demanda à notre exec s'il avait l'intention d'aller à l'enterrement. La mère du caporal y serait, elle était en train de traverser la France où les Armées Alliées, celles venues de l'ouest et celles du sud, venaient tout juste d'établir le contact. Il fut surpris de cette demande. Il avait assumé que tous les morts étaient promptement mis dans un trou et recouverts, dotés d'une croix de GI et d'une identification qui permettrait un ré-enterrement éventuel. Il n'avait pas le coeur d'y aller et demanda à Anspacher de s'y rendre pour lui; il s'en alla faire un tour en forêt; la mère croyait que son fils avait été tué au combat; il l'avait été, d'une certaine manière, comme tant et tant d'autres victimes d'amicide.

L'exec était furieux à l'encontre de Cook, un imbécile sympathique et dangereux, et il amena le cas devant le prévot de l'armée qui établit l'accusation comme "le déchargement négligeant d'une arme à feu" et le renvoya pour jugement et sanction au niveau de la companie. Ce n'était pas grand chose. Ils décidèrent de laisser passer. L'idiot était bien aimé de ses camarades.



Durant d'interminables semaines, la réduction de la résistance allemande dans la Trouée de Belfort et en Alsace demeura un problème pour les troupes françaises. Le Lieutenant, qui avait jusqu'ici vu les Français comme des maîtres de l'attaque rapide, féroce et répétée, commençait à se poser des questions. Avaient-ils des scrupules à amocher la France? Etaient-ils moins décisifs et fougueux lorsque la composition de leur infanterie comportait moins d'Africains à sacrifier? Prenaient-ils les habitudes américaines? Désiraient-ils surtout rester vivant pour la célébration de la victoire, qui paraissait si proche maintenant? Etaient-ils occupés à se quereller entre eux, pour savoir qui était responsable de la défaîte de la France, qui était l'agent de sa résurrection, qui devait maintenant la contrôler?

L'équipe de propagande de combat fit tout ce qu'elle put pour aider les Français dans leur effort à forcer la Trouée de Belfort, la partie la plus difficile de l'opération. Elle traversa les Vosges pour se rendre en Alsace, où l'Armée allemande avait commencé de résister plus opiniâtrement à l'avancée alliée. Nombre d'Allemands étaient pris le dos à la Suisse et la Suisse ne voulait pas d'eux. On prépara une opération de tracts spéciaux à leur intention, en insistant comme d'habitude sur l'art et la manière de déserter.

La procédure, maintenant que la Première Armée Française avait été créée, sous la supervision générale de la Septième Armée US et donc sous celle du Sixième Groupe d'Armée, consistait à définir les opérations nécessaires (ce qui se fit par l'intermédiaire des deux Jacques en liaison avec les Forces Françaises dans la Trouée), puis à convaincre l'équipe de propagande de la nécessité des opérations définies; l'équipe avait alors toute latitude et possibilité de concevoir les messages, de les imprimer en grand nombre et rapidement, de les charger dans des obus destinés aux howitzers américains dont les Français étaient maintenant équipés, et de superviser les opérations de tir.

L'opération fut considérée comme un succès et les deux Jacques, qui voulaient une médaille américaine, s'arrangèrent avec la Première Armée Française (le nouveau nom de l'Armée B) pour faire attribuer la Croix de Guerre à Roos et à notre Lieutenant. Que tout cela se soit passé selon l'ordre des choses demeurerait incertain. Quelques mois plus tard, des ordres spéciaux arrivèrent de l'Armée Française; ils étaient supposés contenir les recommendations et, lorsqu'il en fut informé par les deux Jacques, le commandant Roos se hâta de s'accrocher la médaille et encouragea le Lieutenant de faire de même, ce que fit celui-ci, non sans un soupçon entêtant qu'une sorte de marché avait été conclu, auquel il préférait n'avoir point de part.

Les divisions françaises font alors l'expérience d'un nouvel ennemi - une armée anti-communiste composée de cosaques, de déserteurs, de traîtres et d'opposants idéologiques au régime stalinien. Ils forment des cibles plus faciles pour les services de propagande, qui n'ont guère de mal à recueillir des renseignements des premiers prisonniers et à leur faire traduire en russe, et imprimer en alphabet cyrillique les tracts à tirer sur leurs confrères et à leur faire distribuer par des patrouilles. Les déserteurs soviets veulent être assurés qu'ils ne seront pas retournés à la merci du gouvernement soviétique, une assurance que les Français, plus décontractés en ces matières que les Américains, n'hésitent pas à leur donner.

En fait, Roosevelt et Churchill ont accédé au désir de Staline que tous les citoyens soviétiques, à l'exception d'une poignée d'Arméniens, fussent retournés à l'URSS après la défaite allemande. Mais les Français recrutent un certain nombre de ces nouveaux prisonniers et on les traite comme des soldats français.

Les patrouilles qui font de la reconnaissance et testent les positions ennemies sont de bonnes distributrices de matériel de propagande. Elles laissent traîner leur littérature derrière elle et la patrouille ennemie la ramasse. Cependant, une patrouille ennemie s'en retournant chez elle est naturellement peu encline à annoncer qu'elle a ramassé de la propagande ennemie. Les soldats américains, protégés, si l'on peut dire, par le Premier Amendement de la Constitution (sur la liberté d'expression), font collection des tracts de propagande allemands comme si c'était des timbres-poste. Une série, que ses copains ont appelé la "Série Sam," montre la caricature d'un hideux profiteur de guerre juif du nom de Sam qui a d'agréables rendez-vous avec "la petite amie de Bob," pendant que le pauvre Bob traîne ses godillots dans la boue. Ces tracts étaient distribués par avion et par patrouille et laissés sur place par les Allemands lorsqu'ils se retiraient d'une position.

Avec un mépris peut-être trop automatique pour la rhétorique ennemie, et une confiance exagérée dans l'attitude éclairée et respectable de la troupe, l'équipe de propagande accordait peu d'efficacité à la propagande allemande. Jamais, dans aucun engagement de l'Afrique à l'Allemagne, ne mit-on les troupes americaines ou britanniques en garde de ne pas prêter attention à la propagande nazie: ce qui était aussi bien. Les Allemands, au contraire, avaient des consignes très strictes quant aux réponses à opposer à l'argumentation ennemie, et pour punir la circulation de propagande ennemie sous quelque forme que ce soit; on ne voyait guère le landser s'insurger contre une telle censure; quand on considérait toutes les autres restrictions auxquelles il était soumis, celle-ci devait paraître peu de chose; du point de vue du commandement allemand, la censure produisait son effect, réduisant au minimum les occasions de discussion de sujets tabous comme la défaîte ou l'emprisonnement aux mains de l'ennemi.

Le temps d'automne vient au devant de la poussée vers le nord de la Septième Armée. Notre exec fait bivouaquer sa compagnie assez loin en arrière du front pour qu'il soit possible de faire du feu. On n'est qu'en septembre lorsqu'il écrit à Jill, de toute apparence depuis les environs de Belfort:



Maintenant que nous sommes dans les montagnes la plupart du temps, je vais sûrement connaître le grand frisson, car il est clair que l'automne arrive. C'est déjà le temps de la jacquette de campagne et les nuits sont d'un froid à double couverture. Les pluies sont arrivées par accès et j'ai été trempé jusqu'à la moelle plusieurs fois déjà. La semaine à venir, à quelques jours près, nous dira peut-être si nous allons passer encore un hiver de plus en campagne ou si du moins nous serons chaudement logés pour cette période. Le paysage est vraiment beau... Il y a de très belles pentes partout, comme on en voit en Italie du Nord, en Suisse et aussi en Autriche. A présent, les montagnes et les vallées sont vertes et brunes et les nuages sont bleus et gris. Il y a des brumes et des nuages qui se glissent par les interstices entre les montagnes, de temps en temps voilant le soleil, et puis de nouveau le découvrant pour allumer le vert des champs. Il y a beaucoup de forêts de petits pins et des routes ombragées de grands arbres qui épousent de près les flancs courbes des montagnes. Les gens sont tous au travail. Il y a peu de dommages de guerre et ils sont très optimistes quant à l'avenir du pays. Ils détestent généralement les Allemands, bien que ceux-ci se soient mieux conduits dans la majeure partie de ce pays qu'ils ne l'ont fait partout ailleurs en Europe...



Puis il ajoute: "...avec d'étranges et sinistres exceptions," et décrit les massacres du Vercors.

Il y peu de raisons de craindre l'aviation allemande. Le feu du bivouac est le bienvenu, non seulement à cause du froid, mais aussi pour faire la cuisine. Les Américains ont trop attendu pour prendre les mesures qui s'imposaient depuis le début; les rapides avances de la "Troisième Armée" de "Panzer" de Patton, sur le flanc gauche, ont été stoppées par un manque d'essence. On en apporte par avion, mais des quantités substantielles doient être acheminées depuis les ports de l'ouest et du sud, et depuis les armées proches. Le Lieutenant est scandalisé d'apprendre ce qui s'est passé. Comment nos dirigeants avaient-ils pu attendre si longtemps avant de rationner la distribution d'essence et le transport du matériel le moins nécessaire? Parfois, il se demande si les généraux, et même tout le sommet de l'échelle du commandement de la machine de guerre, à l'exception d'un type spécial comme Patton, ne sont pas opposés, par tempérament et par intérêt, à l'idée de voir finir pour de bon leur expérience de guerre. D'un côté, comme à Verdun, à Stalingrad et, oui, à Cassino, les généraux jettent au massacre, obsessivement et comme sous la contrainte, leur matériel humain. Comme des joueurs de poker fous, ils ne cessent de faire monter l'enjeu. Leur justification étant que l'ennemi fait de même; les généraux ont tendance à agir comme en miroir de leur contreparties ennemies.

En d'autres occasions, ils sont timides de tout contact, attendent indéfiniment pour tout et pour rien avant de commencer des engagements, et s'adonnent à toute sortes de pratiques dilatoires dans un univers où la logistique devrait être, sinon le dictateur de l'action, à toute le moins son conseiller le plus écouté. Le Lieutenant se laisse entraîner à des spéculations inutiles au sujet de savoir comment toutes les unités pourraient être ordonnées de réduire de moitié leur consommation d'essence, et leurs rations fraîches et encombrantes. De plus, il faudrait leur interdire tout mouvement qui ne serait pas essentiel à la bataille. Aucun quartier général d'unité ne devrait être déménagé jusqu'à nouvel ordre, seulement son quartier avancé. Il se demande s'il reste assez de chevaux et de mulets pour traîner des citernes d'essence vers le front. Il se souvient de Cassino, l'hiver, et des trains de mulets italiens peinant opiniâtrement, montant et descendant les flancs des montagnes; personne n'avait jamais songé que l'armée américaines aurait un jour, de nouveau, recours aux mulets. Il se morfond à l'idée qu'ils perdent des jours, des semaines, des mois mêmes à finir la guerre en laissant les armées allemandes atteindre le Rhin sans les poursuivre au plus près tout au long du chemin. C'est le manque d'essence qui en est la cause principale.

Ajoutez au manque d'essence l'échec de la Septième Armée à refermer le piège sur la 19ème Armée allemande à Montélimar et vous aurez la plus grande partie de la réponse à la question de savoir pourquoi la guerre dura jusqu'en 1945, à un coût énorme et généralisé, au prix de la perte d'une voix prépondérante dans le choix de l'imposition d'un nouveau gouvernement à la Pologne, à la Hongrie et à l'Allemagne de l'Est, au prix de la vie d'un million de Juifs et d'autres prisonniers dans les camps de la mort, de centaines de milliers de morts supplémentaires dans les bombardements et les batailles. Mais personne, je dis bien, personne ne souffle mot à ce sujet, que ce soit dans les vastes considérations d'ensemble ou dans la masse confidentielle d'informations et d'intelligence qui s'abattent sur le bivouac de la compagnie de propagande de combat depuis tous les systèmes radio du monde, les sources d'intelligence des armées, et les informations recueuillies parmi les populations, les prisonniers, et les réfugiés sur lesquels les troupes alliées mettent la main. En laissant de côté le théâtre du Pacifique, l'on pourrait légitimement lever les plus graves objections sur la manière générale dont la guerre fut conduite par les responsables aux niveaux les plus élevés, et par leurs subordonnés, dans les cas où ceux-ci furent mis en situation de prendre des décisions d'ordre stratégique. Ces considérations ne sont pas du ressort du Lieutenant, qui n'a même pas encore obtenu le rang de capitaine pour lequel il a été recommandé depuis plus d'un an par le Colonel Hall, chef du personnel militaire au Quartier Général d'Afrique, à Alger.

De toute façon, il est beaucoup moins critique que vous ne pourriez le croire en lisant ceci à l'égard de la stratégie générale: la reddition inconditionnelle, Yalta, le bombardement aérien des villes, les points d'invasion, la rétribution pour les meurtres de masse et dislocations causés par les nazis, et même à l'égard d'initiatives de propagande dénuées d'imagination. Il fallait qu'il le soit, sinon il n'aurait pas pu endurer les choses jusque là.

La question se pose encore, troublante jusqu'à ce jour, si le Haut-Commandement allié, y compris les chefs d'état, ne se trouvait pas immergé dans une masse logistique, une mer bureaucratique, à la surface de laquelle il réaffleurait lourdement, avec des battements de nageoires, pour respirer à l'occasion,et éjaculer quelques décisions avant de s'enfoncer à nouveau. Avant et après la guerre, le Haut Commandement demeura inacessible aux critiques politiques de fond, comme si leurs méthodes de conduire la guerre était autre chose que politique. Il s'agissait là d'une idiocie librement choisie. Pourtant, pas même les leaders juifs ne furent capables de percevoir clairement que les retards à conclure la guerre, retards qui contribuèrent de manière aussi significative à la détresse absolue et au massacre total, étaient anormaux et évitables.

Il est fort douteux que le Lieutenant ait fait à l'époque une propre corrélation entre les événements, ou qu'il ait eu connaissance de même la moitié d'entre eux; l'on pouvait en dire autant de ses camarades, dont plusieurs étaient des Juifs qui avaient accès à tout ce qu'il pouvait savoir, lui, ce qui était tout de même beaucoup. En ce qui concerne le génocide des Juifs, la logique tordue des nazis et les évènements qui le déterminère se déroulèrent généralement de la façon suivante:



1. Le travail d'extirpation des Juifs allemands et autrichiens était presque complété et des restants de ces populations avaient été évacuées à l'est lorsque l'attaque de l'Union Soviétique fut lancée en juin 1941. Des milliers s'étaient sauvés en fuyant à l'étranger. La campagne d'euthanasie contre les malades mentaux, les vieux et les handicappés fut activement menée contre les Allemands, en Allemagne, dès 1941. Beaucoup de Juifs furent rassemblés et déportés en masse en France et ailleurs. La Grande Rationalisation qui alliait le Génocide à la Guerre Totale n'était pourtant pas encore tout à fait née. La Guerre Totale, y compris la désinstallation, le mouvement et le redéploiement de hordes de gens était en elle-même un concept favori des nazis, qu'ils illustrèrent très tôt. Pas encore le Meurtre Total.

Notre Lieutenant savait cela, et il en avait assimilé la signification. C'était pour cela qu'il était si absolument anti-nazi et pro-guerre. Il avait eu un excellent enseignement de base sur la nature du nazisme et sur le chauvisnisme fasciste dans ses différentes formes; ses professeurs et ses collègues étudiants à l'Université de Chicago y avaient pourvu. A l'Université de Chicago, il s'était entretenu longuement avec des réfugiés allemands et autrichiens. Il en savait presque autant que n'importe quel Juif bien informé et anxieux, et bien davantage que le politicien moyen, ou le citoyen moyen, ou l'officier supérieur moyen.



2. Dès l'automne de la première année de l'offensive allemande contre l'Union Soviétique, tous les éléments génocidaux de la vision et de l'appareil nazis achevaient de se mettre en place et étaient devenus dominants, politiquement et militairement. A l'automne de 1941 et durant l'année 1942, d'immenses massacres furent conduits par les forces SS; elles reçurent le soutien intensif des populations anti-sémites autochtones de Pologne, Lithuanie, Yougoslavie, Lettonie, d'Ukraine et d'autres régions conquises sur les Soviets, ainsi que celle des anti- "juifs-bolcheviks," bénéficièrent de l'aide des travailleurs de force et des prisonniers, et même souvent de l'armée allemande. Les prisoniers soviets étaient fréquemment massacrés, ou enfermés dans des camps pour y mourir de faim. Plus d'un demi-million des plus d'un million de prisonniers de guerre soviets de la première campagne mourut en l'espace d'un an. Que les nazis, avec l'appui populaire allemand, menaient la Guerre Totale de fait, et contre des peuples entiers, physiquement, était connu du Lieutenant et de son cercle d'amis ainsi que dans les milieux civils et militaires qu'il fréquentait durant la guerre, depuis cette année - 1941 - qui vit de terribles opérations en Europe de l'Est et les commencements d'une guerre également totale dans le Pacifique, menée par le Japon. A la fin de 1942, le gouvernement britannique, s'exprimant par la bouche d'Anthony Eden, commença finalement de décrire et de dénoncer publiquement la destruction accélérée infligée par les nazis au peuple juif. C'était bien tard. Pire, il n'en résulta presque aucun changement de politique, ni aucune accélération de la guerre.



3. De 1942 jusqu'à la fin de 1944, des massacres se produisirent par centaines dans toute l'Europe de l'Est, excepté en Hongrie et en Roumanie. En Yougoslavie, des fanatiques croates catholiques, les Ustachis, ayant été gratifiés d'un état indépendant, exterminèrent brutalement plus d'un demi-million de Serbes, et tous les Juifs qu'ils purent trouver. Les brutalités exercées en Europe de l'Est, massacres, viols, tortures et crimes de toute sorte affectèrent cinquante millions de personnes vivantes ou qui moururent en conséquence, et dépassent les records établis par n'importe quelle autre époque de l'histoire. Les nazis et leurs suppôts qu'ils lâchèrent sur l'Europe furent l'équivalent de la peste noire qui extermina un tiers de la population européenne au quatorzième siècle; ils étaient pires, car ils étaient des humains de chair et de sang, non une maladie aveugle.

Le Lieutenant était-il au courant de tout cela? Non, en partie seulement. Les médias étaient pleins surtout de la "vraie guerre" entre combattants en uniformes, et ils ne voyaient pas d'intérêt majeur à couvrir les "violations des droits de l'homme" de manière intense et continue. Les exterminations ethniques en Europe de l'Est semblaient bien éloignées de la vie quotidienne dans les innombrables camps de l'armée éparpillés sur tout le territoire des Etats-Unis, et elles étaient reléguées dans l'ombre par l'attention énorme accordée à la Guerre dans le Pacifique contre le Japon.



4. La mi-1944 vit les débarquement en Normandie, les victoires russes, l'attentat manqué des officiers allemands contre Hitler le 20 juillet, la défection de la Roumanie, et une abondante évidence de signes annonçant l'approche de l'extermination des Juifs, lorsque les SS firent pression sur la Hongrie pour réunir un demi-million de juifs. Puis, le 24 juillet 1944, le camp de concentration de Majdanek fut libéré avant que les SS n'eurent le temps d'en retirer tous les prisonniers et de le raser jusqu'au sol comme il en avaient l'intention et reçu l'ordre. (Ils firent preuve d'une détermination constante à cacher toutes les opérations de génocide jusqu'à leur fin dernière.)

Entre août 1944 et janvier 1945, la population des camps de travail et d'extermination allemands augmenta de 200,000 pour atteindre 700,000, en dépit du taux de mortalité élevé qui y sévissait. Des millions de travailleurs étrangers vivaient en Allemagne, subsistant misérablement sous menace d'extermination.

L'équipe de propagande de la Septième armée savait peu de chose de ce vaste chaudron de torture et de mort qu'étaient devenues l'Allemagne et l'Europe centrale et orientale. Ils savaient seulement que les choses y allaient très mal. Par une étrange ironie et contradiction, cette unité, qui aurait pu être utilisée pour conseiller la Septième Armée en matière de moral de combat, fut utilisée strictement contre l'ennemi. Ses officiers, à l'opposé de ceux du commandement militaire, ne croyaient pas que le moral pouvait être distribué aux soldats américains aux stands de beignets de la Croix Rouge, ou élaboré dans les films de Betty Grable. Le commandement militaire ne croyait pas non plus, et c'était fort malheureux, que le moral aurait pu se nourir de convictions de l'esprit au sujet de la guerre et des horreurs perpétrées au loin par les nazis. Il est difficile de croire que cette même équipe ou mieux, une équipe qui aurait émané de la division du moral des troupes, laquelle s'occupait principalement de mesurer la peur des soldats à l'aide d'outils de recherche sophistiqués, et de monter des vaudevilles pour les divertir, n'aurait pu monter une campagne de propagande qui aurait pu avoir juste assez d'un effet dopant sur les troupes pour couper les Allemands à Montélimar et amener l'armée à tous les points du Rhin Supérieur avant octobre.

L'idée que les troupes américaines auraient pu se sentir insultées, dégradées, ou manipulées si des opérations de propagande avaient été montées à leur intention, ou que le travail était suffisamment bien accompli s'il était laissé aux mains d'un journal de troupes humoristique comme le Stars and Stripes est absolument fausse. Les troupes américaines, plus que les troupes allemandes, avaient besoin d'une "éducation continue" et d'encouragements pour s'acquitter de leur mission. Créer les conditions d'un moral de travail élevé n'était pas la fonction des reporters de journaux qui posaient aux soldats des questions généralement formulées dans le but de montrer combien leurs conditions d'existence étaient dures et qu'ils étaient dignes de pitié.

Le Lieutenant aurait atteint un score élevé sur l'échelle du savoir et de l'indignation, et aussi sur celle du désir "de faire quelque chose pour rémédier à tout cela," mais il était aussi impuissant que n'importe quel officier supérieur ou sénateur américain de bousculer l'inertie d'un système qui pourtant n'existait que pour gagner la guerre. Il vivait donc la vie ordinaire d'un soldat pour la plupart du temps, comme je la raconte ici, avec plus de liberté personnelle et une conscience plus claire de ce qui se passait; la stimulation du facteur moral n'était pas prévue chez les troupes américaines, et seulement si elle était devenue nécessaire, le Lieutenant aurait-il sauté à l'action. Il avait toujours horreur qu'on l'appelle un fauteur de trouble, alors que c'était au fond ce qu'il aurait voulu être et que, parfois, il l'était bel et bien.



5. Entre janvier 1945 et la capture de Berlin quatre mois plus tard, 200.000 prisonniers des camps furent transportés à l'intérieur des frontières du Reich. La plupart furent tués, ou périrent. On les amena afin de a) les cacher; b) les garder comme otage et récolter des rançons; c) pour les tuer; et d) pour les utiliser comme travailleurs forcés. L'esprit nazi essayait désespérément de trouver une échappatoire ou, à défaut, un moyen d'entraîner autant du reste du monde qu'il le pouvaient avec lui sur le chemin de la destruction. Le slogan terroriste des premiers jours du nazisme: "Mieux vaut une fin terrible qu'une terreur sans fin" se retourna contre l'esprit nazi lui-même.

Alors que la Dix-Septième et la Troisième Armée s'étaient rejointes pour former un front solide mouvant vers le nord à travers la France, et que seule une poche de résistance subsistait dans le sud de l'Alsace après la libération de Strasbourg (le lieutenant avait déjà pénétré en Alsace en septembre) la tuerie nazie était à son comble et un million de personnes se trouvaient poussées vers l'Allemagne. Si la guerre avait fini avant la fin de 1944, peut-être qu'un million de vie auraient été sauvées. Sans inclure les vies qui furent perdues dans les armées, amies ou ennemies, engagées au combat, y compris les armées américaines d'Europe et du Pacifique, ainsi que les centaines de milliers de vies civiles qui auraient été préservées des bombardements aériens, comme lors de ceux, largement inutiles, qui dévastèrent Berlin et Dresde, reputée être la plus belle ville d'Europe Centrale. La bombe atomique n'aurait peut-être pas été hâtée à la fabrication, et peut-être n'aurait-elle pas été utilisée.

Est-il possible qu'une si large proportion du désastre subséquent pourrait être retracée jusqu'au commandement politique et militaires des forces alliées et son fréquent manque d'inspiration et de compétence? Il y avait des indications que tel était bien le cas, ne serait-ce que dans l'expérience de guerre de ce soldat particulier, laquelle remontait jusqu'aux débarquements en Afrique et avait vu une succession de délais insupportables tout du long, lors des invasions ou des batailles. Et peut-être l'incompétence remontait-elle plus loin encore, jusqu'au retard intervenu pour l'appeler dans les forces armées, aux transferts inutiles en tous sens, à l'entraînement largement inutile qu'il avait partagé avec douze millions d'autres soldats.

Il y a de nombreuses facettes psychologiques à ce comportement militaire hippopotamique. Compliquant les problèmes au sommet, et fournissant une excuse pour toute manière de timidité et de retards et d'excès logistique, il y avait l'écho caverneux et énervant du slogan égalitaire (et d'ailleurs hypocrite): "Pas un seul de nos garçons sera sacrifié pour rien." Les Britanniques se rappelaient la Somme et Verdun, les Américains se rappelaient: Maman. Un usage inflationaire et obsessif de ces mots: "pour rien," souvent conduisit à l'inaction et au manque de décision.

Les idées aussi, et pas seulement les pieds d'un soldat peuvent puer, ainsi l'on pouvait imaginer deux raisons supplémentaires pour les généraux et les politiciens occidentaux de ne pas entrer dans une frénésie d'action au reçu des rapports concernant l'extermination des Juifs à l'est. Les Juifs avaient disparu d'Europe Occidentale, nulle urgence retentissante ne se faisait donc entendre; les nazis avaient eu la considération d'exterminer leurs victimes d'Europe occidentale dans des trains et des fours crématoires, ailleurs, hors de vue. De plus, et ceci était très important, les grands conservateurs occidentaux, les industriels, les officiers, consciemment et inconsciemment, identifiaient les Juifs avec le Bolshevisme, comme le faisaient les nazis, et ils étaient remplis de confusion et portés à nier ces informations ainsi que les images mentales qu'elles éveillaient.

Serait-il même concevable qu'ils aient pensé ainsi: qu'ils devaient avoir des raisons de faire la guerre qui soient suffisantes par elles-mêmes. C'est-à-dire, qu'ils auraient préféré ne pas introduire le problème d'un grand nombre de Juifs étrangers amassés dans des camps et tués. Plus il y avait de Juifs tués, aurait-on pu raisonner, plus l'élite alliée pouvait-elle, et devait-elle, en toute conscience, justifier son engagement dans la guerre. Mais, ne voulant pas justifier une guerre pour sauver les Juifs, ils réprimaient les considérations et l'évidence d'un véritable holocauste.

De plus, psychologiquement, cela leur permettait d'éviter de prendre des mesures pour établir la véracité des faits, l'étendue des crimes et leur effrayante signification. Après cela, pour justifier la conduite de cette guerre, pouvaient-ils se reposer sur des rationalisations infiniment plus confortables: les intentions nazies de conquérir le monde, les attaques contre des démocraties alliées, et les agressions des pouvoirs de l'Axe contre les Etats-Unis d'Amérique. Toutes ces choses, le Lieutenant les méditait et les ruminait du début de la guerre jusqu'à sa fin. Ses "bases de données" se trouvèrent encore enrichies lorsqu'il fut invité par un Officier d'Orientation de l'Armée reconnaissant à faire un saut toutes les fois qu'il le pouvait afin de parler aux soldats de réserve ou en camp de repos, assis sur leurs canons ou leurs camions ou dispersés sur le sol d'usines à demi-détruites, ce qui lui fournit l'occasion de sentir à quel point était ténu l'engagement des hommes à la Guerre en tant que point focal des idéaux de leur vie. Il serait téméraire de supposer que, dans leur esprit, le but de leur engagement était de sauver de l'extermination qui que soit, sauf eux-mêmes, personnellement, et seulement par la force des choses. Mais ce serait une lourde erreur aussi de penser que leur expérience de la guerre avait éveillé en eux un goût quelconque pour la prolonger, ou la répéter.

A tout ceci, admettons-le, le Lieutenant tournait le dos. Il en savait plus qu'il n'était nécessaire et infiniment plus qu'il n'avait pouvoir d'influencer. Il pouvait même se payer le luxe de sympathiser avec un landser prisonnier, qui lui assurait ne rien savoir des grands enjeux, qui était simplement loyal au Führer et qui ne voyait d'autre cause à l'effondrement de son moral et de son monde physique que le fracas insane et ininterrompu des tirs d'artillerie américains.



The Taste of War (version complète - en anglais).


Correspondance de Jill et Alfred de Grazia (1942-1945) - en anglais.


album-photo (1942-1945)


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